Le retrait annoncé des dernières troupes américaines d’Afghanistan d’ici la fin du mois et la percée fulgurante des forces talibanes qui, au cours des dernières semaines, ont été en mesure de prendre le contrôle d’une majorité de districts du pays ainsi que d’une première grande ville (Lashkar Gah, la capitale de la province d’Helmand située dans le Sud-Ouest), font craindre un retour au pouvoir de ces fondamentalistes.

Malheureusement, cela ne semble être qu’une simple question de semaines avant que ces derniers ne soient en mesure de renverser totalement les troupes gouvernementales aujourd’hui démoralisées et n’ayant aucune volonté de mourir pour défendre une entité et un pouvoir envers lesquels ils ne ressentent aucun attachement particulier dans ce pays où l’appartenance clanique et ethnique joue un rôle beaucoup plus significatif.

À cet égard, force est d’admettre que les 20 années de reconstruction du pays par les États-Unis et leurs alliés ont reposé sur la prémisse erronée d’un État centralisé où les chefs de guerre tribaux étaient entièrement assujettis à la figure du président. En refusant de reconstruire le pays de manière décentralisée et d’accorder du pouvoir aux leaders régionaux, les autorités de Kaboul se sont ainsi privées d’alliés qui n’hésiteraient pas aujourd’hui à prendre les armes contre les talibans. Or, ceux-ci préfèrent plutôt demeurer en retrait en attendant la victoire des talibans avant de prendre les armes contre eux. Bref, l’échec de la reconstruction des 20 dernières années risque bien d’ouvrir la voie à une future guerre civile dans le pays entre les talibans et différentes factions à l’instar de ce qui a prévalu entre le chaos engendré par le départ des troupes soviétiques en 1989 et l’intervention de 2001.

L’histoire se répétera malheureusement et les civils afghans (en particulier les femmes et les minorités ethniques et religieuses du pays) en feront les frais : échec pour lequel l’Occident portera une large part de responsabilité.

Somme toute, que des individus fort peu empreints des valeurs de la démocratie libérale prennent le contrôle d’un pays n’est pas une situation exceptionnelle en soi. Mais en quoi la possibilité qu’il en soit ainsi pour les talibans doit-elle interpeller l’Occident ? Après tout, il est utile de rappeler que ce ne sont pas les talibans qui ont planifié, organisé et mené les attaques du 11 septembre 2001, mais bien Al-Qaïda : un réseau terroriste indépendant, raison pour laquelle le département d’État américain n’a jamais placé les talibans sur sa liste des groupes terroristes. Si le passé est garant de l’avenir, nous n’avons donc pas à craindre d’être attaqués directement par les talibans.

La question se pose donc autrement et dépend de la prise en compte de l’objectif final recherché par les talibans. En raison de leur fondamentalisme, servir Dieu est une cause qui se suffit à elle-même et toute autre considération lui est nécessairement subordonnée. Dans cette perspective, puisqu’ils pensent que leur cause est plus importante que tout le reste, leur esprit de sacrifice et leur violence ne connaissent aucune limite même si cela a pour conséquence de faire d’eux des parias et de les marginaliser à l’échelle internationale.

On se souviendra à cet égard que les admonestations de la communauté internationale entre 1996 et 2001, qui critiquaient sévèrement les manquements aux droits fondamentaux des civils afghans, n’eurent aucun effet sur eux.

Ainsi, les groupes animés d’une telle vision du sacré font souvent preuve de graves carences stratégiques. Voilà pourquoi l’Occident doit craindre pour sa sécurité advenant une reprise du contrôle de l’Afghanistan par les talibans, puisque ceux-ci risquent de ne pas hésiter à commettre les mêmes erreurs qui ont contribué à les évincer du pouvoir il y a 20 ans, c’est-à-dire collaborer de nouveau avec des groupes terroristes qui partagent leur fanatisme religieux en leur offrant un refuge sûr à partir duquel ils pourront planifier et mener des opérations contre nous.

En bref, lorsque les objectifs immédiats et ultimes poursuivis par de tels groupes ont un caractère mystique et ne sont pas faits à l’intention d’un public (si ce n’est celui du ou des dieux qu’ils vénèrent), aucune forme de pression diplomatique ou économique ne laisse présager la possibilité d’altérer leurs choix. Cela signifie que, tôt ou tard, de nouvelles interventions militaires risquent d’être nécessaires dans le pays si les talibans en venaient à collaborer à nouveau avec des réseaux terroristes internationaux. Oui, l’histoire a une tendance fâcheuse à se répéter.

* Auteur de L’Occident face au terrorisme – Regards critiques sur 20 ans de lutte contre le terrorisme (Presses de l’Université Laval, 2021)

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