Dès le début de la pandémie, en mars 2020, la ferme Sanglier des Bois perdait tous ses clients. Les restaurants fermaient partout, annihilant le seul marché convoité par la ferme jusqu’à ce moment-là. L’entreprise a donc décidé de se réorienter en vendant désormais en ligne. Plus facile à dire qu’à faire.

Plusieurs entreprises agroalimentaires ont dû se réinventer durant la pandémie.

Bien sûr, nous avons vu plusieurs restaurateurs et transformateurs modifier leur modèle d’affaires pour vendre directement aux consommateurs. Pendant que les restaurateurs vendaient désormais à des gens confinés à la maison, les transformateurs vendaient en ligne à une clientèle autre que celle de la restauration. Mais pour les producteurs agricoles qui traitaient déjà avec les restaurateurs, les affaires devenaient particulièrement difficiles.

La Ferme Sanglier des Bois à Saint-Augustin-de-Desmaures, près de Québec, est un bel exemple d’une entreprise agricole qui a su tirer profit de la pandémie pour se transformer. Il y a 20 ans, Charles Fortier et Nathalie Laroche, deux ingénieurs de formation, démarraient une ferme de sangliers, un gibier de choix reconnu pour sa viande maigre et sa polyvalence de coupes. Rares sont ceux qui aiment la viande et qui n’aiment pas le sanglier. Cette viande dont l’apport en protéines surpasse celui de la viande du bœuf contient moins de gras.

Pendant 20 ans, en élevant leurs sangliers en liberté, le couple a fait son petit bonhomme de chemin en obtenant énormément de succès en vendant dans le domaine de la restauration, partout au Québec, en Ontario et au Nouveau-Brunswick.

Mais en mars 2020, tout a basculé. La ferme a perdu toute sa clientèle, car les restaurateurs qui achetaient les sangliers ont fermé leurs établissements partout au pays. Avec 200 bêtes, la ferme du rang Petit-Capsa devait désormais se tourner vers un nouveau marché, celui des consommateurs confinés à la maison.

Dans une région où il n’existait pas de l’internet à haute vitesse, la ferme devait non seulement développer rapidement un site internet transactionnel, mais aussi offrir de nouveaux produits prêts à cuisiner pour une clientèle domestique. Charles et Nathalie connaissent la génétique et l’élevage du sanglier, mais ils étaient loin d’être des bouchers, connaissant les différentes coupes du sanglier. Se mettre dans la peau d’un consommateur curieux qui veut essayer une nouvelle viande n’est pas évident. Les carcasses de sanglier ont cédé leur place à des saucisses, pâtés, rillettes, terrines, et différentes coupes de steak. Les producteurs ont même changé d’usine d’abattage durant le processus.

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Charles Fortier (gauche) et Sylvain Charlebois (droite)

Il existe environ une douzaine de producteurs de sangliers au Québec, mais un seul s’est converti en magasin en ligne durant la pandémie. Charles et Nathalie devaient se débrouiller avec les moyens qu’ils avaient. Coup de chance, la ferme a été choisie par la firme GoDaddy pour faire la promotion de ses services d’hébergement web, puisqu’ils ont utilisé ses services durant la pandémie. Cette promotion a aidé la ferme Sanglier des Bois à se faire connaître. La détermination de Charles et de Nathalie mérite d’être soulignée. Ils vendent même leurs produits dans différents marchés publics.

Aujourd’hui, les ventes de la ferme n’ont pas tellement augmenté en volume, mais les marges bénéficiaires ont augmenté d’au moins 30 %. Un sanglier rapporte en moyenne 1400 $ à la ferme au lieu de 900 $ auparavant. Une hausse considérable.

Le cas de la Ferme Sanglier des Bois nous rappelle qu’il y a du travail à faire pour mieux soutenir nos agriculteurs qui veulent s’intégrer verticalement et vendre à circuit court.

D’abord, l’internet haute vitesse doit desservir toutes les régions. Pour Charles et Nathalie, il reste impossible de participer à des entretiens par Zoom et MS Teams sans fermer la vidéo. Vendre quelque chose sans l’aspect visuel complique la tâche. Les deux ordres de gouvernement ont promis des investissements dans le domaine des télécommunications depuis quelques mois et c’est tant mieux, car pour nos régions, ça presse.

L’autre défi à surmonter reste la langue. Le site de la Ferme Sanglier des Bois n’est qu’en français. Il existe un potentiel énorme pour les produits québécois à l’extérieur de la province. Mais les algorithmes de recherche sur l’internet ne captent probablement pas autant les services de la ferme si quelqu’un recherche de la viande de sanglier à partir de Toronto, London, Halifax ou ailleurs. Malgré l’aisance des propriétaires à parler anglais, maintenir une interface numérique dans les deux langues demande du temps et l’aide de spécialistes linguistiques. Un service de soutien aux agriculteurs pour assurer une commercialisation vers plusieurs nouveaux marchés serait idéal, que le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) soit impliqué ou non.

La COVID-19 a incité plusieurs d’entre nous à acheter en ligne. Qu’une ferme soit située dans le Bas-Saint-Laurent, en Estrie ou au Lac-Saint-Jean, de nouveaux marchés s’offrent à nos agriculteurs. Pendant ce temps, Charles et Nathalie ne semblent avoir aucun regret. La reprise des activités de la restauration permettra sûrement à la Ferme Sanglier des Bois d’éclipser d’anciens records de vente. Espérons que d’autres producteurs les imiteront.

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