Je suis d’accord avec les personnes qui disent que nous sommes à l’ère des matriarches. La nomination de Mary Simon, leader inuite, au poste de 30e gouverneure générale est un pas essentiel pour reconnaître l’importance des peuples autochtones dans le passé, le présent et l’avenir du Canada. Résidante du Nord forte de décennies d’expérience et femme ancrée dans la culture, Mme Simon représente un véritable changement au Canada et au-delà.

Nous sommes tous en train de fêter. La semaine dernière, la toute première femme, et 2SLGBTQ+, est devenue grand chef, Kahsennenhawe Sky-Deer. Et maintenant, Roseanne Archibald est la toute première femme élue chef nationale de l’Assemblée des Premières Nations.

Ces changements de paradigmes me donnent de l’espoir, particulièrement après une fête du Canada différente de toutes les autres. Il y a eu moins de feux d’artifice et moins d’agitation du drapeau. Les chandails orange étaient certainement plus nombreux que les rouges. La nation a fait une pause pour réfléchir à la découverte troublante de plus de 1000 enfants enterrés, longtemps après leur décès dans des pensionnats. Des Autochtones et des alliés sont descendus dans la rue et se sont exprimés dans les médias sociaux en demandant un véritable changement, et des municipalités ont annoncé leur volonté de trouver de nouveaux noms plus inclusifs pour leurs écoles, leurs rues et leurs parcs.

Les Canadiens reconnaissent enfin l’horreur du passé colonial profondément ancré de leur pays et ont commencé à chercher et à exiger des solutions. Le temps du changement est venu.

Le Sénat du Canada est une institution où il est possible d’apporter immédiatement des changements importants et significatifs. C’est le moment d’autochtoniser le Sénat.

Le Sénat est peut-être l’institution coloniale par excellence de ce pays. Vestige des conseils législatifs non démocratiques qui gouvernaient les colonies avant la Confédération, il a été créé pour représenter les provinces, mais surtout pour faire contrepoids au gouvernement élu. Comme la Chambre des lords en Grande-Bretagne, le Sénat canadien a été établi pour protéger les intérêts des élites possédantes.

Les meilleurs jours du Sénat restent peut-être à venir : le Parlement est prêt à accueillir le changement constitutionnel dont le Canada a un besoin urgent. Des changements structurels profonds sont nécessaires pour accomplir une véritable réconciliation et réaliser de véritables changements – des changements concernant la façon dont le Canada est gouverné et le pouvoir, partagé.

L'occasion de faire un geste marquant

En 2015, le premier ministre Trudeau a sagement reconnu que le Sénat ne pouvait pas être élu ni aboli. À la surprise de son parti, il a dissous le caucus libéral au Sénat et a promis de nommer uniquement des sénateurs indépendants recommandés par le Comité consultatif indépendant sur les nominations au Sénat. Les effets ont été positifs et il a déjà nommé ainsi 60 sénateurs, une majorité des membres.

Sa prochaine mesure devrait être la réforme du Sénat. Il peut en effet faire en sorte que le Sénat soit non seulement indépendant, mais également autochtone.

Trudeau a l’occasion de pourvoir jusqu’à 12 sièges vacants au Sénat avant les élections qui devraient avoir lieu à l’automne. Il devrait demander au Comité consultatif de recommander uniquement des candidats autochtones exceptionnels qui ont bonne réputation auprès des communautés autochtones reconnues.

Un tel geste représenterait un pas immédiat vers un Sénat autochtonisé et logique dans sa modernité.

La transformation de la Chambre haute du Canada afin qu’elle reflète véritablement les peuples autochtones et comporte une représentation majoritaire autochtone, pour les sénateurs actuels et futurs, constituerait un geste significatif vers la réconciliation. Le Sénat aurait une légitimité naturelle en tant qu’organe de garde protégeant le territoire et tout son peuple. En utilisant son pouvoir discrétionnaire pour mettre en place cette nouvelle convention, le premier ministre lancerait le Canada sur une nouvelle voie constitutionnelle plus équitable.

Cela pourrait être un des éléments majeurs de l’héritage du premier ministre.

Diversité des perspectives

Le point de vue des Autochtones varie bien sûr et tous les Autochtones n’accueilleront pas favorablement ce concept. Un Sénat autochtonisé serait aux prises avec la représentation adéquate de la diversité des perspectives, des Nations et des intérêts des Autochtones, tout en préservant l’engagement constitutionnel du Canada envers le bilinguisme et la représentation des provinces.

Le Sénat conserverait sa capacité considérable de passer au peigne fin et d’améliorer les projets de loi, mais continuerait de s’incliner devant la Chambre des communes. En même temps, une Chambre haute autochtone placerait les perspectives autochtones au cœur du Parlement et au centre de notre conversation nationale, et exercerait ses responsabilités au nom de tous les résidants de ce territoire, pas seulement des Autochtones.

Étant donné que les 105 sénateurs servent aujourd’hui jusqu’à l’âge de 75 ans, la transition vers un Sénat autochtonisé se déroulerait sur des décennies, ce qui permettrait aux membres les plus récents d’apprendre ses traditions tout en allouant le temps nécessaire à l’évolution de nouvelles pratiques.

Lors d’une entrevue précédant son départ à la retraite du Sénat, Murray Sinclair, commissaire de la Commission de vérité et de réconciliation et ancien juge, a dit voir le Sénat comme un « conseil d’Aînés… respecté comme un organe réfléchi et consciencieux assurant la surveillance du gouvernement ». Un Sénat autochtonisé prend la vision de M. Sinclair à cœur et la concrétise.

En fin de compte, la réconciliation signifiera céder et partager le pouvoir. De sa propre initiative, le premier ministre pourrait et devrait prouver son engagement envers les peuples autochtones en faisant ce geste d’imagination politique.

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