Pour prévoir l’avenir, il faut connaître le passé, nous a communiqué Machiavel, ce politicien italien qui a élaboré des principes de politique moderne.

C’est, selon moi, son enseignement le plus marquant. L’histoire, celle qui nous informe sur les actions qui ont formé l’évolution et les écueils de l’humanité, est essentielle à toute planification, toute définition de nouveaux objectifs.

Barack Obama spécifiait avec éloquence, dans un discours à Montréal il y a quelques années, que malgré les reculs parfois observés, la société évolue inexorablement vers un respect plus marqué des droits individuels, tend à une amélioration de la condition humaine. Parfois difficile à croire en constatant le nombre de conflits dans le monde et les hauts cris qui s’élèvent en dénonciations de toutes sortes ! Si on parle tant de droits des autochtones, des membres de la communauté LGBTQ+, des femmes ou d’autres populations marquées par l’ostracisme, c’est parce qu’on prend acte du passé et que l’on peut/veut aller plus loin dans notre redéfinition de demain. Par contre, il ne faut pas escompter pour autant que tout soit parfait du jour au lendemain.

L’histoire, c’est le pouvoir de savoir, de connaître, sans égard à la qualification de ce qui s’est passé. C’est un constat qui doit être neutre, une analyse circonstanciée. Mais dans l’esprit populaire, il est plus facile de se rattacher à des faits qui font image, à des évènements qui marquent le pas.

La médecine est ainsi influencée. On y identifie des jalons importants : le développement des radiographies, la découverte des antibiotiques, l’identification de l’insuline, la démonstration de la structure et du rôle de l’ADN. Le tout est bien marqué, dans l’histoire médicale et populaire, par l’attribution du prix Nobel de médecine à des individus, nommément et respectivement Marie Curie, Alexander Fleming, Frederick Banting et Charles Best, James Watson et Francis Crick. L’évolution médicale continue, mais à petits pas, grâce à des efforts de multiples groupes de scientifiques, et qui sont donc, par conséquent, difficilement attribuables à un ou quelques individus. Le prix Nobel est un honneur de plus en plus partagé, mais qu’on voudrait, dans notre représentation simple de l’évolution du monde, identifiable à un individu. Le développement récent d’un vaccin contre la COVID-19 est une œuvre concertée et collective digne de mention. Malgré cela, la reconnaissance sociale de cette réussite n’a plus la valeur de symbole individuel qu’elle comportait auparavant. Cependant, l’histoire devrait retenir la créativité scientifique ayant permis dans un court laps de temps de juguler une nouvelle pathologie.

On n’aurait pas développé ce vaccin sans l’accès aux données scientifiques générées depuis des dizaines d’années. Faire abstraction des expériences passées aurait immanquablement mené à des échecs, à la perte d’un temps précieux en période de pandémie. L’histoire médicale est garante de son futur. Et sans égard aux symboles et modes de reconnaissance, les scientifiques œuvrent à développer les connaissances.

La société actuelle est cependant secouée par des excès de zèle historiques. Faire abstraction du passé ? C’est une mauvaise idée. Recentrer la reconnaissance donnée à des personnes marquantes ? C’est une option, si ce geste n’est pas simplement partisan et politique, pour ne pas dire idéologique.

John A. Macdonald a ses torts, mais il symbolise pour plusieurs la formation du Canada. Si l’on renie la reconnaissance de l’homme, comment assure-t-on la symbolisation de parties de sa vie politique qui méritent reconnaissance ?

Il est marquant de constater qu’en cette ère de l’individualisme, on soit moins enclin à célébrer les particuliers. Toute gloire est de plus en plus éphémère, suscitant autant l’accolade que la réprobation. L’effet choc seul éveille les esprits, comme la mort de Georges Floyd ou de Joyce Echaquan, la découverte de trop nombreuses dépouilles d’enfants morts dans des pensionnats autochtones. Ces évènements font acte de symboles, voire de point de bascule de l’histoire sociale. Mais notre réaction collective de réprobation a quelque chose de sain, démontrant que, comme le soulignait Obama, la société évolue vers cette reconnaissance des droits des individus et populations.

Il faut se demander si, au vu de notre nouvelle relation avec l’histoire, les signes de la reconnaissance des individus ne sont pas devenus des écueils dans notre quête de souvenir et d’histoire. Ainsi, nos représentations symboliques doivent probablement évoluer. Non pas étêter les statues des figures marquantes de l’histoire pour oublier des pans défavorables de notre histoire, mais discuter de la meilleure façon de déplacer la connaissance vers des symboles clairs, non édulcorés et qui supporteront l’épreuve du temps, étant exempts de représentation d’individus.

Le Canada a été au premier plan des pays qui ont adopté une charte des droits dans leur constitution à la suite de l’adoption de la Charte internationale des droits de l’homme par l’ONU. C’était en soi une admission que notre société devait évoluer vers mieux.

Plutôt que de simplement avoir honte de notre passé, il y a raison de faire preuve d’une certaine fierté face au chemin parcouru. Embrasser l’histoire, c’est aussi s’oublier, ne pas chercher à se reconnaître ou s’identifier indûment.

Récemment, le premier ministre Legault refusait d’ajouter un jour férié en lien avec l’histoire des peuples autochtones. Il est dommage que le discours n’ait pas été ouvert à cette proposition, surtout quand on constate que la société impose encore un calendrier de jours fériés influencé par le passé catholique : Noël, Vendredi saint, lundi de Pâques, Action de grâce. À l’instar des statues, ne faut-il pas revoir nos conventions sociales, sans les étêter, pour bien nous diriger vers le respect des droits de tous ? L’histoire, ce n’est pas qu’une affaire de musées et de statues.

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