Le 18 octobre prochain, dans le contexte d’élections municipales qui se tiendront dans l’ensemble de la province, l’Alberta sera témoin de deux référendums. Alors que le premier porte sur la possible abolition de l’heure avancée dans la province, le second porte sur un enjeu qui concerne le pays dans son ensemble, y compris le Québec : l’avenir du programme fédéral de péréquation.

Créé en 1957, ce programme transférera près de 21 milliards de dollars au total à cinq provinces dont la capacité fiscale (le revenu que chaque province pourrait générer à un même taux donné de taxation) demeure inférieure à la moyenne nationale. Ces provinces sont le Manitoba, le Québec, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et l’Île-du-Prince-Édouard.

Enchâssée dans la Constitution depuis 1982, la péréquation est controversée depuis sa création en partie parce que les provinces plus riches qui ne reçoivent pas d’argent dans le cadre de ce programme se plaignent soit de sa générosité apparente, soit de ne pas y être admissibles.

L’aspect controversé de la péréquation est particulièrement évident en Alberta, une province qui n’a pas reçu de péréquation depuis le début des années 1960 en raison de sa richesse pétrolière.

À la suite de la chute dramatique des prix du pétrole survenue en 2014, de la détérioration subséquente de la situation économique et fiscale de la province, des victoires des libéraux de Justin Trudeau en 2015 et 2019 et, plus récemment, de la victoire des conservateurs de Jason Kenney dans la province en 2019, la question de la péréquation est graduellement devenue un sujet de conversation majeur en Alberta.

Cible de choix

Dans ce contexte, le référendum, dont la question porte sur l’élimination possible de la clause sur la péréquation contenue dans la Constitution, est présenté comme une arme politique contre le gouvernement fédéral et aussi celui du Québec, une province qui bénéficierait de la générosité des contribuables albertains par le biais de la péréquation, mais qui ferait obstacle à des projets cruciaux pour l’Alberta. Considéré explicitement comme un modèle en matière d’autonomie provinciale que l’Alberta devrait imiter afin d’accroître sa propre autonomie vis-à-vis Ottawa, le Québec est aussi une cible politique de choix pour les attaques de Jason Kenney contre la péréquation, une situation qui s’explique facilement lorsque l’on se tourne vers les données récentes en matière d’opinion publique au Canada.

Dans un texte présenté lors de la conférence annuelle de l’Association canadienne de science politique en juin dernier, nous démontrons que beaucoup de Canadiens qui s’opposent au programme de péréquation partagent un ressentiment envers le Québec.

De plus, Ottawa et le Parti libéral du Canada sont perçus comme des entités politiques à la solde des intérêts du Québec (et de l’Ontario) qui ne comprennent pas les préoccupations des provinces de l’Ouest. C’est ce mélange de ressentiment envers le Québec et d’aliénation face aux politiques fédérales du gouvernement Trudeau qui semble expliquer l’opposition à la péréquation en Alberta et en Saskatchewan, alors que le programme demeure très populaire ailleurs au pays.

Le référendum albertain sur la péréquation ne mènera évidemment pas à l’élimination du programme ni même à d’importantes réformes. La péréquation en Alberta est un symbole de la plus récente vague d’aliénation liée à la question des oléoducs et à l’idée d’injustice qui caractériserait le traitement de l’Alberta dans la fédération canadienne. En mettant l’accent sur ce symbole, le premier ministre Kenney cherche à la fois à détourner l’attention de ses propres décisions politiques, maintenant impopulaires dans une partie de son parti politique, et à rejeter la faute sur le gouvernement fédéral ainsi que d’autres provinces, et particulièrement le Québec, pour les ennuis économiques de l’Alberta.

Il est plus rentable pour des politiciens comme Jason Kenney d’entretenir la perception que les problèmes économiques et fiscaux actuels de l’Alberta sont causés par le Québec ou par Ottawa que de convaincre les Albertains d’effectuer les réformes nécessaires pour les régler. Le Québec finance ses bas droits de scolarité, ses services de garde subventionnés et son assurance médicaments principalement grâce à un fardeau plus élevé et non pas parce qu’il dépend de la péréquation. De la même manière, l’Alberta pourrait assainir ses finances publiques en cessant d’être la seule province au Canada qui n’impose pas de taxe de vente provinciale, alors qu’une réforme de la péréquation ne changerait rien à la situation fiscale de la province. Dans un système fédéral, il est toujours tentant pour certains politiciens d’accuser les autres juridictions d’être la cause des maux qui affectent leur province.

* Daniel Béland est directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill et professeur titulaire au département de science politique de l’Université McGill ; Olivier Jacques est professeur adjoint à l’École de santé publique de l’Université de Montréal ; André Lecours est professeur titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa.

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