Piotr Smolar, journaliste au Monde et spécialiste des relations internationales, signe la préface de l’édition française.

Tous les quatre ans depuis 1997, la NIC (National Intelligence Council) publie aux États-Unis un document passionnant, dont l’intérêt dépasse le cénacle des spécialistes. Il invite chaque nouvelle administration américaine, tout juste entrée en fonction, à s’extirper de la seule gestion des affaires courantes. Nourri par de nombreux échanges avec les meilleurs savants et analystes, le rapport examine les grandes tendances du monde actuel et dégage des hypothèses de développement à long terme pour l’ensemble de la planète. Si elles reflètent le point de vue américain, et ne s’appesantissent guère sur la crédibilité entamée des États-Unis, les pistes de réflexion exposées ici nous concernent tous.

Ce rapport 2021, qui envisage le monde de 2040, était très guetté dans le contexte éprouvant de la COVID-19. Il annonce des bouleversements, en une génération, comme aucune autre n’en a vécu jusqu’alors dans l’histoire de l’humanité : du climat, de la connectivité, de la biotechnologie, de l’intelligence artificielle. Il dessine des sociétés plus fragmentées, sous tension, confrontées à des menaces et des enjeux sans frontières. […]

Extrait du chapitre « Les forces structurelles »

Les évolutions géographiques, environnementales, économiques et technologiques façonneront le monde dans lequel nous vivrons au cours des prochaines décennies. Ces mutations structurelles – à la fois individuelles et collectives – permettront aux individus, aux communautés et aux gouvernements de toutes les régions du monde d’améliorer leur façon de vivre, travailler et prospérer.

En outre, l’accélération et l’entrelacement de ces tendances susciteront des défis nouveaux, plus intenses, auxquels vont devoir faire face les sociétés et les gouvernements.

Après plusieurs décennies d’avancées extraordinaires en matière de développement humain, de nombreux pays risquent d’avoir des difficultés à tirer parti de ces progrès, voire à les pérenniser. En effet, plus les populations sont nombreuses et les ressources limitées, plus il est difficile d’élever le niveau dans les domaines de l’éducation et des soins. En outre, les conséquences du dérèglement climatique – températures plus élevées, précipitations irrégulières, élévation du niveau des mers – toucheront certes tous les pays, mais affecteront de manière disproportionnée les régions en développement et les plus pauvres. Le rythme et la portée des avancées technologiques vont probablement s’intensifier et s’accélérer. Cette tendance permettra à la fois de développer des compétences mais aussi de créer de nouvelles tensions et perturbations au sein des sociétés, des industries et des États entre eux.

Plusieurs tendances économiques mondiales – notamment l’augmentation de la dette souveraine, les nouvelles perturbations du secteur de l’emploi, un environnement commercial plus complexe et fragmenté, et la montée en puissance des entreprises les plus importantes – sont susceptibles de modifier la situation au sein des États et entre eux.

Ces facteurs structurels peuvent se répercuter de manière imprévisible, donnant à certains pays la possibilité de relever ces défis et même de prospérer, tandis que d’autres, accablés par une confluence de tendances moins favorables, seront mis en difficulté. L’évolution des tendances démographiques aggravera certainement les disparités économiques et politiques au sein des pays et entre eux, accentuant les tensions au niveau de la gouvernance des États mais aussi en termes de migrations. Ces pressions vont accroître les frictions entre les États. Des rivaux étatiques et non étatiques se disputeront la suprématie dans le domaine de la science et de la technologie, engendrant des risques et conséquences en cascade pour la sécurité économique, militaire, diplomatique et sociétale. De nombreux gouvernements pourraient voir leur marge de manœuvre réduite face à l’alourdissement du fardeau de la dette, à la diversité des règles commerciales et à la pression de nombreux et puissants acteurs étatiques et privés. Pendant ce temps, les économies asiatiques poursuivront leur croissance, au moins jusqu’en 2030, et chercheront à utiliser leur poids économique et démographique pour influencer les institutions et les conventions internationales.

Démographie et développement humain – principaux points à retenir

— Le ralentissement de la croissance démographique et l’augmentation de l’âge médian mondial offrent de potentielles opportunités financières à certaines économies en développement, mais le vieillissement rapide, le resserrement autour de la tranche d’âge la plus élevée dans certaines économies développées, et notamment en Chine, pèseront sur la croissance.

— Les pays relativement pauvres d’Afrique subsaharienne et d’Asie du Sud seront à l’origine de la majeure partie de la croissance démographique mondiale. Ils connaîtront parallèlement une urbanisation rapide, qui dépassera très probablement leur capacité à fournir les infrastructures et les systèmes éducatifs nécessaires pour exploiter pleinement leur potentielle croissance économique.

— Les changements démographiques et les intérêts économiques devraient accroître la pression migratoire en provenance des pays en développement, principalement de l’Afrique subsaharienne, et principalement vers les pays développés vieillissants. Les conflits et les perturbations climatiques aggraveront ces tendances migratoires.

— Ces tendances démographiques et humaines pèseront sur les gouvernements pour qu’ils augmentent les investissements publics et contrôlent l’immigration. Elles risquent de nourrir une instabilité, de contribuer à la montée en puissance de l’Asie et d’alourdir la mission des institutions internationales déjà surchargées.

Le monde en 2040 vu par la CIA

Le monde en 2040 vu par la CIA

CIA et Conseil national du renseignement
Préface à l’édition française : Piotr Smolar

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