Je suis une réfugiée climatique.

J’ai eu la chance de grandir avec des parents qui m’ont permis de passer tous mes étés sur les rives du ruisseau Fortier et du lac William dans le piémont des Appalaches. Depuis 50 ans, mon père m’a montré la beauté de chaque caillou, de l’écrevisse, de la grenouille, de la truite et de tout ce qui grouillait dans la rivière. J’ai passé d’innombrables heures avec ma sœur et mes cousines à m’y baigner et à y inventer toutes sortes de jeux. Dans le lac, nous avons également nagé, parfois même au-delà du petit lagon, jusqu’à la plage du camping, en cachette de nos parents. Puis la vie a passé et nous nous sommes un peu perdus, mon lac et moi.

L’an dernier, nous nous sommes retrouvés. Il m’avait manqué. En planche et en kayak, tout l’été nous avons renoué.

J’ai revu des nénuphars, des familles de colverts, des bernaches, entendu un huard et un castor, me suis fait mordiller les orteils par des bancs de ménés.

Avec ceux que j’aime, nous avons joué dans ses eaux, à nager, à dériver, à pagayer, à ramer, à chahuter, à sauter, à bronzer, à contempler.

À ce contact, aux éléments, nous nous sommes reconnectés.

Chaque fin de semaine, j’avais hâte de le retrouver. Puis, la peste : l’algue bleue, les cyanobactéries. Partout, à l’infini. Le lac trop chaud combiné à un apport excessif de phosphore a eu raison de la qualité de ses eaux.

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

Le lac de l’auteure, contaminé aux cyanobactéries

Pour une dernière fois, j’ai glissé sur les eaux malades et impropres à la baignade de mon lac et j’ai pleuré : sur mon petit bonheur égoïste, sur la façon dont j’allais continuer à enseigner la géographie à mes élèves et sur la suite du monde.

C’était le 7 août 2020. Cette année, le 5 juillet 2021, soit plus d’un mois plus tôt, l’éclosion est déjà là.

Qui s’en souciera ? On ne protège que ce que l’on aime. On n’aime que ce que l’on connaît. Nous n’étions que quatre baigneurs de toute façon l’an dernier pour des dizaines de bateaux hors-bord.

Les nouveaux riverains, satisfaits dans leur spa et divertis à brûler du « gaz » sur leurs bateaux démesurés et bruyants, perdront peu de ce qu’ils n’ont pas pris le temps d’écouter et d’observer, mais simplement pris pour un vulgaire parc d’attractions.

En tant que citoyens du Québec, nous avons la responsabilité de protéger les 3 % d’eau douce de la planète que possède notre territoire par une agriculture avec moins d’intrants chimiques et une limitation des changements climatiques.

La perte d’accès à nos cours d’eau à des fins récréatives non motorisées est un triste recul de notre qualité de vie et de notre patrimoine culturel. Ne plus pouvoir poser les pieds dans nos cours d’eau fait déjà de nous des réfugiés climatiques.

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