L'ensemble de la société québécoise devrait faire son examen de conscience historique

La posture intellectuelle qui consiste à rejeter la culpabilité des pensionnats autochtones sur l’Église seule, comme si celle-là était une entité hors de la culture, un parasite sur notre Histoire qui ne serait pas « nous » et dont l’héritage ne constituerait pas un legs partagé par l’ensemble de la société québécoise moderne, est une contre-vérité évidente qu’il faut dénoncer.

On se désole qu’il s’en trouve encore pour croire que la culture d’une société puisse être aussi aisément dissociée de sa religion ou de ses grandes structures mythiques et spirituelles, dont les ramifications imperceptibles s’étendent jusqu’aux mœurs. La religion et la culture sont des objets historiques quasi indistinguables. À tel point que l’on se demande souvent laquelle des deux influença l’autre.

On s’étonne donc d’entendre dernièrement des nationalistes, souvent issus de la première génération de francophones en Amérique à vivre dans une société sécularisée, professer sans honte que « l’Église » serait coupable du génocide des autochtones, mais non le Québec. Comme si l’Église, le clergé québécois autrement dit, n’était pas un autre des noms propres du Québec, une autre des manifestations de sa culture dans l’histoire. Car, n’en déplaise à certains, il n’aura pas suffi aux Québécois de la Révolution tranquille de chasser l’État clérical pour liquider tout à fait leur filiation avec le christianisme, pour se libérer de cet organe, certes gangrené, que l’on vient tout juste de s’amputer et que l’on voudrait faire passer déjà pour autre chose que soi.

Prétendre que nous ne sommes pas historiquement les héritiers de ceux qui mirent en place et dirigèrent ici les pensionnats autochtones constitue un déni d’histoire flagrant.

Depuis quand sommes-nous devenus si paperassiers, si minables dans les règlements de successions ? Depuis quand hérite-t-on de la terre du père sans hériter de ses dettes et de ses responsabilités ? Se peut-il que nous soyons les héritiers culturels de nos ancêtres sans en être les légataires religieux ?

Croire que l’Église n’est pas « nous », c’est oublier aussi que les pères Oblats, tout marseillais qu’ils étaient initialement, furent bientôt recrutés par centaines dans les campagnes laurentiennes. C’est omettre que l’on construisit d’énormes couvents jusque dans l’après-guerre, pleins à craquer des filles de la société canadienne-française. C’est négliger que Montréal, la ville aux 100 clochers, fut un temps une véritable métropole cléricale en Amérique du Nord. C’est se dissimuler à soi que nous fûmes l’une des nations les plus croyantes en Occident et parmi celles qui le demeurèrent le plus longtemps.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Vestiges d’un bâtiment de l'ancien pensionnat autochtone de Saint-Marc-de-Figuery, en Abitibi

La profonde religiosité de nos ancêtres les Canadiens français, dont nous semblons aujourd’hui fort embarrassés, est une donnée historique majeure dans la compréhension de notre trajectoire culturelle. Le Québec moderne, plus qu’aucun autre peuple occidental peut-être, est l’hériter de son Église. S’il ne l’est pas, comment alors ose-t-il capter l’héritage aussi impunément, s’engraisser sur l’usufruit ? Car, on ne peut plus l’ignorer dorénavant, nous vivons sur des territoires que l’Église a travaillé à nous rendre vacants.

On le voit bien, c’est une posture intenable et qui conforte encore les Québécois dans leur incapacité à se reconnaître comme acteurs de leur propre histoire, agents et moteurs de leur devenir national. Nous sommes historiquement responsables de l’ethnocide des autochtones et l’Église, qui n’est pas autre chose que l’un de nos visages, l’est aussi.

Et nous sommes à ce point encore semblables à l’Église que nous partageons avec elle jusqu’à notre incapacité à reconnaître nos torts. Hypocrites et dissimulant comme elle, nous invoquons un dédoublement de nous-mêmes plutôt que de nous excuser. Ce n’est pas, évidemment, une attitude propice à entamer la réconciliation.

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