La ville et l’urbanisation sont au cœur de l’aventure humaine depuis six millénaires. L’une et l’autre se déclinent sur plusieurs registres d’une complexité parfois déroutante. Alors que la pandémie a mis sur pause les villes qui sont appelées à se redéfinir, quelques passionnés vous proposent leur perspective sur le développement urbain. Aujourd’hui, la ville et le risque.

En 1986, à la suite de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl, Ulrick Beck écrit un livre important, La société du risque, abordant les enjeux que posent les risques sur les collectivités et la responsabilité des sociétés dans l’aggravation de ceux-ci : « la production sociale de richesses est systématiquement corrélée à la production sociale de risques »1, écrit-il.

Antonio Da Cunha renchérit dans le livre La ville résiliente, comment la construire ? Il écrit : « il y a deux manières de se positionner face aux débats sur l’avenir de la ville et des territoires : la première réussit aisément à la plupart ; accepter l’enfer, en devenir une part au point de ne plus le voir. La seconde est risquée et elle demande une attention et un apprentissage continuel ; chercher et savoir reconnaître qui et quoi, au milieu de l’enfer, n’est pas l’enfer, et le faire durer, et lui faire de la place. » 2

Depuis longtemps, les villes sont tourmentées par des évènements qui les dépassent, inondations, canicules, tremblements de terre, déraillements de train et explosions industrielles, la liste se rallonge quotidiennement. Les choix d’aménagement du territoire ont parfois généré des catastrophes graves. Rappelons les ruptures de digues à La Nouvelle-Orléans, La Faute-sur-Mer ou Sainte-Marthe-sur-le-Lac. Si l’ampleur des catastrophes n’est pas comparable, les diagnostics de risques révèlent des points communs et des erreurs à corriger. À force de vouloir transformer et contrôler la nature, à force d’intégrer dans les tissus urbains des entreprises polluantes parfois dangereuses, certaines collectivités ont évolué vers une trajectoire qui a aggravé leur vulnérabilité.

Pour pouvoir développer des stratégies urbaines résilientes, il est nécessaire de renforcer l’aptitude de la ville à se remettre d’un choc et à agir afin de mettre en œuvre des mesures d’adaptation et de mitigation vis-à-vis des risques inhérents.

La première étape dans ce cheminement est d’assurer la connaissance du risque. En 2021, la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury nous conseille de prendre soin de nos vulnérabilités3. Rappelons qu’un risque est constitué d’un aléa (inondation, érosion, explosion industrielle, etc.) et de vulnérabilités sociales et territoriales (âge, revenu, infrastructures essentielles, etc.) qu’il est indispensable de diagnostiquer. Ces informations permettent non seulement une meilleure compréhension des enjeux, mais aussi une sensibilisation des décideurs politiques et des acteurs locaux. Connaître ces fragilités aide à renforcer les systèmes, à accroître les capacités pour mobiliser les ressources et les services nécessaires à la mise en œuvre de stratégies d’adaptation réfléchies. Par ailleurs, un cadrage normatif clair, une réglementation rigoureuse et flexible sont indispensables pour favoriser une transformation viable des collectivités.

Alors que faire une fois les diagnostics établis ? Le nouveau paradigme favorise un certain courage politique : vivre avec l’eau, composer avec la nature, accepter les incertitudes, dénouer les blocages, ouvrir l’imaginaire, concevoir dans les interfaces et construire des scénarios en impliquant les parties prenantes investies dans les projets.

Plusieurs projets urbains innovants se dessinent dans les villes, tant à l’international qu’au Québec. Il s’agit de repenser la ville dans son ensemble en faisant preuve de lucidité et de sagesse, en reprenant le principe d’Aristote, face aux risques existants. Il convient alors de tricoter des quartiers avec des mailles viables tout en y brodant des ingrédients de résilience, infrastructures vertes et bleues intégrées et connectées. Les cobénéfices des projets peuvent non seulement favoriser le ralentissement et l’infiltration de l’eau, mais aussi le rafraîchissement des quartiers, répondant ainsi à plusieurs enjeux (inondations, canicules).

Avec un peu d’audace, on s’assurera que ces nouveaux territoires ou territoires recomposés ne sont pas juste des lieux de passage, mais de cohabitation, voire, pour les projets les plus intéressants, d’éducation et de renforcement de la culture du risque.

Ainsi, la pièce maîtresse du quartier de Matra, à Romorantin, est un bassin de rétention où la place donnée à la nature et à un aménagement paysager de qualité assure un milieu de vie agréable tout en communiquant à la population l’imminence d’un danger quand il se remplit d’eau. Les projets urbains comme celui de Villegailhenc, en France, et sa reconstruction post-inondation ou celui de la ville de Saint-André-d’Argenteuil, au Québec, et son réaménagement urbain résilient témoignent de démarches inspirantes en cours.

Au-delà de la guérison de l’écosystème urbain, l’urbaniste a la capacité de construire des territoires durables, des milieux de vie viables tout en favorisant la biodiversité et la place à la nature. Dans cette quête de métamorphose urbaine souhaitable, l’urbaniste a l’occasion de concevoir la ville de demain en prenant en compte les risques d’aujourd’hui tout en intégrant l’incertitude nécessaire pour assurer le mieux vivre ensemble sur le long terme. Par un apprentissage continuel, il peut favoriser une co-construction de milieux de vie urbains résilients intégrant non seulement le cadre bâti et naturel, mais aussi la fabrique sociale dans une démarche multiéchelle et écosystémique.

1. La société du risque – Sur la voie d’une autre modernité, Beck U., 1986

2. La ville résiliente, comment la construire ?, Thomas I., Da Cunha A., 2017

3. Prendre soin de nos vulnérabilités avec Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste. Épisode de la balado des Éclaireurs

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