Un vide énorme était à combler à la Cour suprême du Canada avec le départ imminent de la juge Rosalie Abella, tenue de partir en raison de l’exigence de retraite obligatoire à 75 ans. Apparemment, ce vide sera comblé de très belle façon par la nomination de l’honorable Mahmud Jamal.

Originaire du Kenya et issu d’une famille originaire de l’Inde, M. Jamal a grandi en Angleterre avant d’atterrir à Edmonton à l’âge de 14 ans. Détenteur d’un baccalauréat en économie de l’Université de Toronto, d’un baccalauréat en droit civil et en common law de l’Université McGill et d’une maîtrise en droit de la prestigieuse Université Yale, Mahmud Jamal est membre du Barreau de l’Ontario et a pratiqué comme avocat pendant près de 24 ans. Au cours de cette période, il a plaidé 35 fois devant la Cour suprême dans différents dossiers civils, constitutionnels, pénaux et réglementaires. Il est lauréat de nombreux prix pour sa fructueuse carrière, a enseigné le droit public à l’Université McGill et à l’Université York et siège comme juge à la Cour d’appel de l’Ontario depuis deux ans.

Nul doute que M. Jamal est un juriste d’une compétence exceptionnelle, mais au-delà de celle-ci, sa nomination apaise de nombreuses inquiétudes provenant de différents milieux.

La première étant que le Canada est un pays doté de deux langues officielles et que celles-ci devraient pouvoir être comprises et employées de manière égale par les neuf juges de la Cour suprême ; la deuxième étant qu’à ce jour, aucune personne de couleur ni autochtone n’a siégé à cette cour, ce qui illustre un important manque de représentativité de la population canadienne. La nomination de M. Jamal, un homme de couleur bilingue, répond à ces deux préoccupations et démontre leur parfaite conciliabilité.

Si certains affirment que l’exigence de bilinguisme favorise l’exclusion et limite les candidatures en provenance de communautés minoritaires du ROC pour qui l’apprentissage du français n’a jamais été une nécessité, qu’on me permette de leur rétorquer que toute compétence élémentaire exigée pour la satisfaction d’une position professionnelle aura tendance à limiter le bassin de candidats. Cela n’a pas pour effet de rendre ces exigences aberrantes. Dans le cas des juges de la Cour suprême, il est difficile d’imaginer de quelle façon ces magistrats peuvent adéquatement s’acquitter de leurs fonctions s’ils ne comprennent pas le plaideur qui s’exprime en français devant eux.

Et qu’on me laisse tranquille avec la solution de l’interprète qui est une alternative handicapante dans un domaine comme le droit où les mots exacts utilisés ont tant d’importance.

Il est heureux que l’exigence de bilinguisme soit devenue une tradition dans la nomination des juges de la Cour suprême. D’ailleurs, dans son projet de loi C-32 déposé mardi dernier, le gouvernement fédéral désire codifier l’exigence que les juges de la Cour suprême qui entendent une cause comprennent la langue officielle de l’intervenant se présentant devant eux sans l’aide d’un interprète. Cela ne réglerait que partiellement le problème puisqu’un juge unilingue anglophone comme Michael Moldaver pourrait simplement ne pas assister aux audiences en français et laisser la Cour siéger en formation de sept juges plutôt que neuf. Pour régler entièrement l’enjeu, il faudrait modifier la Loi sur la Cour suprême pour faire du bilinguisme une exigence formelle de nomination. Toutefois, cela exigerait probablement une modification constitutionnelle avec consentement unanime de toutes les provinces, ce qui apparaît voué à l’échec. Tenons-nous-en à la pratique pour l’instant.

Bref, pour revenir au juge Jamal, le gouvernement fédéral vient d’effectuer une excellente nomination qui est non seulement historique sur le plan de la diversité, mais qui conforte la lente progression du français au sein de la plus haute institution judiciaire au pays.

* L’auteur est aussi détenteur d’une licence en droit (LL. L.) et d’une maîtrise en droit constitutionnel (LL. M.) de l’Université d’Ottawa.

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