Ma mère a la maladie de Parkinson. Elle a vécu un peu plus de trois ans dans une résidence privée pour aînés (RPA). Les deux premières années, elle était assez autonome pour avoir son appartement. Si elle a choisi cette résidence, c’est pour son service destiné aux personnes en perte d’autonomie. Comme ma mère a une maladie neurodégénérative, elle était consciente qu’elle devrait, tôt ou tard, quitter son appartement. Le choc d’un autre déménagement serait moindre si elle pouvait rester dans la même résidence.

Comme on s’y attendait, elle a quitté alors son appartement pour cette unité supposément mieux adaptée à son état. Mais c’est là que tout a basculé. La pandémie est arrivée et elle a vécu confinement après confinement. Durant la première vague, elle a été trois mois sans voir personne. Par la suite, elle a vécu la valse du confinement-déconfinement. Entre-temps, ses trois bonnes amies sont mortes.

On ne peut pas blâmer la résidence pour la pandémie. On ne peut pas non plus lui reprocher d’avoir suivi les consignes sanitaires. Par contre, on est en droit de se demander si ce service n’est pas de la poudre aux yeux.

Ma mère est restée des journées presque entières sans voir personne, mis à part les personnes qui lui apportaient ses médicaments et ses repas.

On lui interdisait de faire des marches dans le corridor, même si le corridor était vide, et même si le neurologue lui avait prescrit de marcher tous les jours pour ralentir la progression de la maladie. Ma mère a donc été contrainte de marcher à répétition de son lit à la porte de sa chambre.

Un jour, elle en a eu assez. Elle est sortie de sa chambre. Quand un employé l’a interpellée pour lui dire qu’il était interdit de sortir, elle l’a regardé droit dans les yeux et lui a dit : « Là, je n’en peux plus. Je sors de ma chambre et je marche. Si vous n’êtes pas content, allez chercher votre supérieure. »

J’en aurais encore long à dire sur les soins qu’elle a reçus, ou plutôt sur les soins qu’elle n’a pas reçus, sur le fait qu’elle a continué de payer le gros prix malgré les activités et les services diminués ou absents, malgré l’absence prolongée et non remplacée d’une infirmière en chef, malgré le fait que le personnel n’a jamais su adapter les repas à ses besoins.

Je vais plutôt me contenter de résumer sa dernière journée à la résidence. Elle a fait une chute durant la nuit. L’infirmier en service a jugé qu’elle devait être hospitalisée. Mais contrairement à la consigne établie, il n’a pas préalablement joint ma sœur, la proche aidante désignée. Il devait aussi l’envoyer au CHUM, là où se trouvent son neurologue et son dossier. Elle s’est plutôt retrouvée à l’hôpital Maisonneuve-Rosemont sans ses médicaments.

Ma mère a passé presque trois jours dans le corridor des urgences sans aucune visite permise. Elle a perdu tous ses repères et elle a sombré dans un délire. Elle a finalement été transférée au CHUM, où elle a été hospitalisée pendant cinq semaines.

Ma mère a finalement quitté l’hôpital pour aller vivre dans un CHSLD. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, elle est très bien soignée. On s’occupe d’elle. Elle se sent appréciée. Tranquillement, elle trouve ses repères et se dit heureuse dans son nouveau milieu de vie.

La réflexion collective qui s’impose à la suite de la pandémie doit partir du principe que nous sommes tous concernés. Les « personnes âgées » ne sont pas une autre espèce d’humain. Une femme ou un homme de 80 ans a déjà eu 5 ans, et un enfant de 5 ans, s’il est chanceux, aura un jour 80 ans. Comme le dit si bien Stéphane Laporte, « vos enfants seront vieux un jour. Pourquoi tant de sacrifices pour qu’ils aient une belle vie, si leur fin est triste et malheureuse ? »

En passant, ma mère s’appelle Pauline. Elle est née à Québec et a vécu sa vie dans le quartier Pointe-aux-Trembles, à Montréal. Ses amies s’appelaient Simone, Hermine et Adrienne.

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