La section Débats est heureuse d’accueillir la productrice et animatrice Marie-France Bazzo parmi son équipe de collaborateurs réguliers. Passée maître dans l’art de décoder l’air du temps, elle présentera tous les mois sa vision des grandes tendances sociales. Bonne lecture !

À la fin de la semaine dernière, une foule jeune et heureuse célébrait le déconfinement en jasant, dansant, buvant dans les parcs montréalais. On s’enivrait de convivialité, de chaleur humaine et de liberté retrouvées, de douceur enfin au rendez-vous.

Soudain, déchirant l’air doux, un hélicoptère de la SQ, nolisé par le SPVM, survole à basse altitude les foules du parc Jeanne-Mance, puis du parc La Fontaine. Émoi chez les résidants du Plateau, stupeur chez les fêtards. C’était un coup de semonce pour ceux qui avaient trop de fun, ces indisciplinés potentiels, ces délinquants en puissance. Il y avait dans ce geste démesuré quelque chose d’infantilisant. « Heille, gang de déconfinés ; on vous watche ! »

Encore de l’infantilisation, serait-on tenté de dire ! Ça va faire 16 mois que la pandémie s’est abattue sur le monde, 16 mois qu’au Québec, nous vivons la situation en mode infantilisant. Tout a commencé en mars 2020 avec une communication gouvernementale délibérément simple, imagée, avec ses arcs-en-ciel et ses anges gardiens. Cette stratégie de simplification des acteurs et des enjeux se défendait, motivée par ces temps inédits et inquiétants. Jusqu’à un certain point, il fallait faire passer le message.

Le Québec a d’ailleurs globalement réussi à bien se tirer d’affaire.

La Santé publique a elle aussi martelé des messages simplistes jusqu’à en être contradictoires à propos de l’usage du masque, de la ventilation des écoles, des zones, des délais d’administration entre les deux doses de vaccin.

Et nous, foule obéissante, remettions entre les mains de nos dirigeants notre bonne foi, notre obéissance, nous gobions les incohérences, subissions l’alternance de stratégies bonbons et de menaces de punitions. Heureusement, il n’y avait pas que cet état infantilisant. Nous avons aussi découvert avec appétit le discours des scientifiques, épidémiologistes, virologues, gériatres, qui nous abreuvaient de faits et de données, habitude qui demeurera, souhaitons-le.

En général, le Québec vient de vivre une année sous le signe du paternalisme. Cette infantilisation des citoyens, parfois librement consentie, a même été confortable pour plusieurs. Nous étions pris en otage. On nous signifiait ce qui était bien, ce qui était mal, qui était vert, qui était pestiféré en rouge. Sur cette base, de bonnes âmes se mettaient même en tête de faire de la délation !

Ne pas traiter la population en adultes, multiplier les interventions infantilisantes, tourner les coins ronds et parler le langage lénifiant des tartelettes portugaises a probablement contribué, jusqu’à un certain point, à la désolidarisation de certains et à la montée en puissance de groupuscules négationnistes, antimasques, antivaccins, complotistes, qui se sont comportés — et continuent à le faire — en ados déviants et rebelles.

Politiquement, le discours paternaliste qui occupait tout l’espace public a réduit l’opposition à un statut de figurant et a conduit à un déficit démocratique, les voix d’opposition apparaissant automatiquement comme celles d’enfants incompétents ou inaptes en des temps aussi graves.

Cette dernière année, nous avons vu le Québec se scinder en deux. Certains ont respecté religieusement les consignes et le consensus majoritaire, alors que de nombreux groupes minoritaires ont remis en question l’ordre ancien des choses, pas tant l’ordre sanitaire, que l’ordre tout court ; de la situation des Premières Nations à celles des groupes « racisés », en passant par la dénonciation des féminicides. La société a tremblé jusque dans ses fondations, car le paternalisme comme mode de gouvernance a des limites et n’est pas le mode de solution des problèmes de fond de la société québécoise.

L’été est à nos portes. Le déconfinement nous a brutalement et heureusement tirés de notre torpeur, nous donne envie de bondir dans ces années 20, qui s’annoncent inédites et désirables. Collectivement, le Québec s’ébroue. On nous a bien infantilisés pour aider à la pédagogie d’une crise pandémique, avec un succès indéniable, le Québec s’en tirant somme toute très bien, et avec facilité, car il y a quelque chose dans la psyché québécoise qui adhère à cette posture paternaliste et confortable. Mais plusieurs, des plus rationnels aux pires complotistes, des jeunes jusqu’aux aînés, des Montréalais comme des gens de tout le territoire, commencent à trouver qu’on étouffe dans cette dynamique simplificatrice. Il faut bien sûr être vigilants, mais la pandémie est en voie d’être matée. Pourrait-on enfin nous traiter collectivement comme les adultes responsables, critiques, pleins d’élan et d’enthousiasme que nous sommes ?

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