L’Union soviétique a disparu le 26 décembre 1991. La dernière crise bancaire et financière mondiale a commencé le 15 septembre 2008 avec la faillite de la banque d’investissement Lehman Brothers. Et alors ? Dans les deux cas, l’écran radar des spécialistes était brouillé : ils n’ont rien vu ! Résultat : la cote de popularité de ceux qui savent « tout de peu » frise le zéro. A contrario, ceux qui savent « peu de tout » font florès.

Longtemps dénigrés, les savoirs profanes – le « savoir des gens », comme disait Michel Foucault –, grâce aux nouvelles technologies, sont désormais considérés comme fondés et rationnels. La soumission de ce savoir au savoir scientifique a volé en éclats. Il a le vent en poupe sur les réseaux sociaux.

Chaque internaute participe à la production de sens. Les profanes font leurs recherches avec une connaissance généraliste horizontale, les experts à l’aide d’une expertise verticale. La défiance à l’égard de ces derniers n’a jamais été aussi grande.

La science est trop instrumentalisée, trop institutionnelle, elle prend trop de place dans les hautes sphères du pouvoir et dans les médias, croit le citoyen internaute.

Cela n’en fait pas pour autant un complotiste. « […] les débats récents dans les divers médias sur l’actuelle pandémie ont ruiné largement, pour beaucoup, la confiance en la science, brusquement rabaissée par les disputes d’experts, souvent autoproclamés, à une opinion parmi d’autres », explique Jacques Attali dans son dernier livre, Histoire des médias.

Avertissement et œillères

En revanche, cette même science nous avait avertis des risques pandémiques depuis des décennies. Avec nos œillères, nous étions dans le déni. Avoir raison prématurément est une science difficile. De plus, selon une étude de l’Université de Cambridge publiée l’an dernier, ce sont les experts (épidémiologistes et statisticiens) qui ont offert des prédictions beaucoup plus justes que les profanes sur la progression de la COVID-19. Les deux, cependant, ont sous-estimé la véritable étendue de la pandémie. Les deux étaient aux abonnés absents.

Dans tous les cas, les diagnostics sont sujets à caution. Si le savoir expert n’est pas plus synonyme de « grande vérité », celui des profanes n’est pas pour autant subjectif et sans fondement.

Grâce à internet, il devient même pertinent et narratif. Mais attention, nous dit Attali, « les réseaux sociaux, par la multiplication des points de vue les plus contradictoires, également écoutés quelles que soient les compétences de leurs auteurs, n’aident pas à la manifestation de la vérité, même la plus scientifique ».

Dans un monde complexifié reposant sur les prévisions et les prédictions, la dépendance à l’égard des experts n’a jamais été aussi grande. Mais la méfiance n’est jamais loin. Alors ? Les deux doivent s’enrichir mutuellement. Les savoirs experts et les savoirs profanes doivent dialoguer. S’asseoir à la même table.

L’exemple de The Economist

En 1984, le prestigieux hebdomadaire britannique chercha à prédire le temps qu’il ferait économiquement 10 ans plus tard. Pour y arriver, il fit appel à quatre ex-ministres des Finances, quatre dirigeants de multinationale, quatre étudiants d’Oxford et… quatre éboueurs londoniens. Ces derniers ont été parmi les plus visionnaires.

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