Les autrices s’adressent au premier ministre du Canada, Justin Trudeau

Monsieur Trudeau, nous sommes un groupe diversifié d’écrivains canadiens engagés dans l’action climatique. Nous vous écrivons afin de vous demander de profiter de ce moment charnière pour renforcer le projet de loi C-12 concernant la carboneutralité.

Ce projet de loi est d’une importance vitale. Si les pays du monde n’atteignent pas leurs cibles en matière de lutte contre les changements climatiques, le futur devient presque inimaginable : incendies de forêt généralisés, fonte des calottes glaciaires, extinctions massives, assèchement des sources d’eau potable. Un tel avenir représente une menace pour nous tous, particulièrement les personnes les plus vulnérables, au Canada comme ailleurs.

Bien que déçus de l’échec du Canada, tant sous les gouvernements libéraux que conservateurs, dans l’atteinte de ses objectifs climatiques, nous sommes encouragés par l’introduction du projet de loi C-12 concernant la carboneutralité, actuellement à l’étude par le Comité permanent de l’environnement et du développement durable.

En tant qu’écrivains, nous connaissons le pouvoir des mots, leur capacité à libérer l’imagination et la créativité. Ce que nous mettons en place aujourd’hui affectera l’avenir pendant des générations.

Nous savons aussi qu’il est impossible de tout réussir parfaitement dès la première version.

Les révisions sont essentielles, tant pour raconter une histoire solide et porteuse que pour rendre une loi plus robuste, pour lui donner des dents. Parce que nous croyons au pouvoir des mots, nous considérons qu’il est crucial que la loi C-12 soit aussi efficace, transparente et imputable que possible. Pour cela, nous pouvons nous inspirer du Royaume-Uni, de l’Allemagne ou de la Nouvelle-Zélande, qui sont tous en train d’atteindre d’ambitieuses cibles de réduction des gaz à effet de serre, et qui possèdent de solides cadres juridiques garantissant leur imputabilité. Avant que le projet de loi C-12 devienne loi, le Canada devrait adopter les modèles de ces pays.

Pour ce faire, il est impératif de créer un cadre qui :

  • fixera d’ambitieuses cibles de réduction des gaz à effet de serre pour 2030 et 2050, afin de maintenir le réchauffement à 1,5 degré Celsius. Les cibles canadiennes actuelles – soit de réduire les émissions de 40 à 50 % sous les niveaux de 2005, et ce, d’ici 2030 – sont loin d’être suffisamment ambitieuses. Elles ne permettront pas de maintenir les températures sous la barre du 1,5 degré, et ne représentent pas la juste part du Canada par rapport à sa situation dans le monde. Pour respecter ces deux objectifs, il faut viser des réductions de 60 % d’ici 2030 ;
  • exigera que les cibles d’émissions de gaz à effet de serre soient déterminées par intervalles de cinq ans entre 2030 et 2050, et ce, au moins cinq ans avant l’année butoir, mais de préférence douze ans à l’avance, comme c’est le cas au Royaume-Uni. Cela permettra de donner le temps aux secteurs public et privé de se préparer ;
  • présentera des rapports d’impact au Parlement tous les cinq ans, et comprendra d’autres mécanismes de planification et de reddition de comptes pour respecter les budgets carbone ;
  • forcera les futurs gouvernements à demeurer imputables en incluant des mécanismes qui assurent l’adhésion à la loi, à ses cibles et à ses mesures de planification, même lors de changements de gouvernement (encore une fois, voir du côté du Royaume-Uni) ;
  • réduira les émissions intérieures sans exporter notre problème ni utiliser les compensations ou crédits carbone pour y parvenir ;
  • mettra sur pied un comité consultatif indépendant d’experts en matière de climat chargé d’évaluer les mesures et stratégies et de conseiller le gouvernement. Ce comité devrait rendre des comptes non pas au ministre de l’Environnement et du Changement climatique, mais au Parlement et au public, chaque année ;
  • consultera véritablement les peuples autochtones, dont le leadership est essentiel et crucial et qui gèrent le territoire depuis des millénaires.

Par-dessus tout, nous demandons de la transparence : peu importent les mécanismes de reddition de comptes, le gouvernement devra expliquer, en langage simple, quel est son plan pour atteindre ses cibles, et montrer qu’il progresse en ce sens.

En tant qu’auteurs et autrices, nous plongeons souvent au cœur des sujets les plus difficiles. Nous pouvons décrire un monde ravagé par les flammes. Ou raconter l’histoire de ce qui aurait pu être si seulement nous nous étions ralliés. Des histoires à fendre le cœur.

Mais ce ne sont pas ces histoires-là que nous voulons raconter.

Nous avons encore le temps d’écrire une autre histoire, une fenêtre courte mais bien réelle, durant laquelle le Canada pourra s’attaquer à la crise climatique avec promptitude, avec imputabilité et dans une langue transparente. Nous pouvons affronter cette crise avec fougue et avec amour – pour chacun de nous, pour le territoire et les animaux, pour ceux qui viendront après nous.

Écrivons cette histoire ensemble. Rendons-la héroïque, brillante et vive ; racontons comment le Canada a adopté des cibles de réduction de gaz à effet de serre ambitieuses et équitables ; comment nous avons écouté les dirigeants autochtones avec respect, et soutenu leur leadership à travers cette crise ; comment nous avons créé une économie verte florissante.

Une histoire que nous serons fiers de raconter aux générations suivantes.

*Cosignataires : Claudia Casper, gagnante du prix Philip K. Dick pour le roman post-crise climatique The Mercy Journals et professeure à l’Université Simon Fraser ; Janie Chang, autrice des romans à succès The Library of Legends, Three Souls, Dragon Springs Road ; Shaena Lambert, autrice des livres à succès Petra, Oh, My Darling et Radiance ; Darrel McLeod, lauréat du prix du Gouverneur général pour Mamaskatch : A Cree Coming of Age ; Murray Reiss, poète lauréat de plusieurs prix, auteur de Survival Rate of Butterflies in the Wild et Cemetery Compost ; Carrie Saxifrage, autrice du roman à succès The Big Swim : Coming to Shore in a World Adrift ; Madeleine Thien, lauréate du prix Giller et du prix du Gouverneur général pour Do Not Say We Have Nothing ; Margaret Atwood, écrivaine, ses romans les plus récents sont The Testaments et Dearly ; Edem Awumey, romancier, auteur de Port-Mélo (Grand Prix littéraire de l’Afrique noire), Les pieds sales (sélection prix Goncourt) et Mina parmi les ombres ; Anaïs Barbeau-Lavalette, cinéaste, autrice (Je voudrais qu’on m’efface, La femme qui fuit) et cofondatrice du mouvement Mères au front ; Simon Boulerice, auteur, comédien et metteur en scène ; Nicolas Dickner, écrivain, lauréat du prix du Gouverneur général pour Six degrés de liberté ; Hélène Dorion, poète et romancière, lauréate du prix Athanase-David, du prix du Gouverneur général du Canada, membre de l’Académie des lettres du Québec ; Christine Eddie, auteure de quatre romans, lauréate du prix Senghor du premier roman francophone ; Alain Farah, écrivain et professeur de littérature à l’Université McGill ; Dominique Fortier, auteure de sept livres dont Au péril de la mer, prix du Gouverneur général, et Les villes de papier, prix Renaudot essai ; Rawi Hage, romancier, auteur de La société du feu de l’enfer (Beirut Hellfire Society) ; Louis Hamelin, auteur de trois essais et de onze livres de fiction, dont La rage (prix du Gouverneur général) et La constellation du Lynx (prix des Libraires, prix des Collégiens et prix Ringuet) ; Hada Lopez, autrice de quatre romans dont Bruine assassine, lauréat du prix Cécile Gagnon ; Sean Michaels, auteur, lauréat du prix Giller ; Michael Nardone, poète, éditeur et chercheur ; Michael Ondaatje, écrivain ; Larry Tremblay, auteur d’une trentaine de livres en tant que romancier, auteur dramatique, poète et essayiste ; Élise Turcotte, poète et romancière, gagnante du prix du Gouverneur général pour La maison étrangère et du prix Ringuet pour L’apparition du chevreuil ; Charles Sagalane, écrivain et bibliothécaire de survie en chef ; Neil Smith, écrivain et traducteur ; Christiane Vadnais, autrice de l’écofiction Faunes, lauréate de plusieurs prix et traduite en trois langues ; Mélissa Verreault, nouvelliste, poète et romancière, autrice entre autres des romans Les voies de la disparition et L’angoisse du poisson rouge, finaliste au prix des Libraires du Québec ; Sophie Voillot, traductrice littéraire, trois fois lauréate d’un prix littéraire du Gouverneur général ; Audrée Wilhelmy, autrice derrière les romans Oss, Les sangs, Le corps des bêtes et Blanc résine ; Karoline Georges, autrice de sept livres, dont De synthèse, lauréat du prix du Gouverneur général en littérature Consultez la liste complète des signataires : https://changingtheclimatestory.com/initiatives-fr

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion