Cela fait déjà plus de 10 ans qu’on me qualifie de militante, d’activiste. Sur cette route parfois houleuse et épuisante, j’ai rencontré des milliers de personnes d’origines diverses dans un nombre incalculable d’évènements. J’y ai vécu de grandes frustrations tout comme j’ai eu le privilège de discuter avec des individus fort inspirants, qui m’ont marquée profondément.

Je ne suis pas la personne qui prononce des grands discours. Je préfère m’asseoir avec les gens et répondre à leurs questions – peu importe qui soient-ils. Je prends le temps qu’il faut. J’ai la conviction profonde que le dialogue entre les peuples est nécessaire afin que les prochaines générations n’aient plus à enseigner les notions « autochtones 101 ». Que nous puissions tenir pour acquis que ces notions seront transmises autrement et que nous ayons enfin la possibilité de passer à un autre niveau de discussion. Après plus de 400 ans de cohabitation, ce serait approprié, il me semble bien.

Après avoir répondu à des dizaines de questions en rafale sur le mode je-te-ponds-huit-thèses-de-doctorat en l’instant d’une seule et même discussion, l’inévitable question du futur est soulevée : « Mais toi, là, tu le vois comment, l’avenir pour du monde comme toi ? » (C’est une vraie question que j’ai déjà reçue. C’est formulé un peu maladroitement, mais c’est bien correct comme cela. Quand je rencontre des groupes, c’est établi d’entrée de jeu que c’est une zone sécuritaire pour tous. J’accueille ainsi les questions comme elles viennent sans me sentir offusquée par les propos parfois assez percutants.)

Depuis la naissance de mon fils, ma vision de l’avenir s’est largement raffinée. C’est devenu davantage personnel.

Dans un réflexe assez généralisé, je ne réponds que rarement directement à cette question. Évidemment, je tiens à ce que mon optimisme soit palpable. Qu’ils se souviennent que le canot cherche à suivre le courant…

PHOTO FOURNIE PAR L’AUTEURE

« Je n’ai pas l’ambition que mon fils reprenne le flambeau. Je vous confirme que ce n’était pas l’intention des générations qui m’ont précédée non plus », écrit l’auteure.

Mon quotidien de militante (hors pandémie, on s’entend qu’en ce moment, tout se fait virtuellement !) m’amène à être souvent sur la route, absente du quotidien de ma famille les soirs et les fins de semaine. À passer passablement de temps seule d’un hôtel à l’autre. C’est mon choix, vous direz. C’est vrai. Je voudrais souvent ralentir et je me dis que le mois prochain sera plus doux. Ou du moins, je m’en convaincs. Les nombreuses rencontres sont souvent longues, voire interminables. On dirait qu’il faut absolument les remplir d’une tonne de mots en trop et de discussions banales ou carrément froides. Les engagements sont fragiles, tardent à se concrétiser, trop souvent politisés. Ma patience s’évapore. Ça bouge si lentement.

Bousculer les cartes de la société, en finir avec les étiquettes, interagir au-delà des « pas assez » aux yeux d’encore trop de monde. Pas assez foncés. Pas assez bridés. Pas assez stéréotypés. C’est tannant, mais c’est nécessaire de continuer le cheminement.

Quand je mentionne que j’ai un fils, on me demande souvent si je pense qu’il prendra la même voie que moi. Ça me fait sourire. Puis, je leur réponds que non. L’instant de quelques secondes, je reçois un tsunami de points d’interrogation. Immanquablement, une main ose se lever et une voix pleine d’empathie brise le moment de malaise que j’ai clairement créé : « Mais madame, vous n’êtes pas fière de ce que vous accomplissez ? »

Je n’ai pas la prétention de dire que tous les enjeux seront réglés en une génération. Ce serait illusoire à mon avis. Cependant, je n’ai pas non plus l’ambition que mon fils reprenne le flambeau. Je vous confirme que ce n’était pas l’intention des générations qui m’ont précédée non plus. Je ne désire pas qu’il ait à militer contre le racisme, contre la discrimination. À consacrer autant de temps et d’énergie. À devoir réfléchir sans cesse à de nouvelles façons de se faire entendre et respecter. Qu’il encaisse les critiques en gardant le cap vers le bien-être collectif. Ce n’est pas le genre d’héritage si emballant à transmettre.

Je voudrais qu’il puisse être qui il a bien envie d’être. J’aimerais simplement qu’il se sente libre. Libre d’être tel qu’il est, qu’il n’y ait pas de contrainte à ses ambitions. Que son identité, ses origines, son bagage soient valorisés et perçus comme étant un atout et non comme une limite. Qu’il soit fier de lui et heureux.

Et puis, qu’on le laisse… qu’on nous laisse rêver…

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