Le ministre Simon Jolin-Barrette ne nous aura pas fait attendre pour rien. Non seulement son projet de loi sur le français ratisse exceptionnellement large, mais il se aussi révèle habile, pragmatique, très travaillé.

Une partie substantielle de son contenu consiste dans le rappel d’éléments de la Charte de la langue française de 1977 que le passage du temps avait dévitalisés, voire fait oublier, et auxquels est redonnée une jeunesse nouvelle.

Il reste maintenant aux médias et aux commentateurs de diffuser au maximum ces éléments auprès de cette grande partie de la population pour laquelle la loi 101 est de l’histoire ancienne, juste un slogan nationaliste.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre Simon Jolin-Barrette présente son projet de loi sur le français, à l’Assemblée nationale, le 13 mai.

Le projet comporte également des mesures, normes et précisions inédites dans des domaines allant de la langue de l’administration à celle du travail en passant par l’affichage, les institutions, etc.

Avec l’affirmation sans ambages du français, le principe sous-jacent est le refus du bilinguisme institutionnel où l’anglais est placé sur le même pied que le français ou rendu obligatoire sans raison.

Une des caractéristiques du projet est son solide arrimage à la problématique linguistique concrète de 2021, au moyen de toute une série de détails, d’ajustements, d’exceptions auxquels on a manifestement beaucoup réfléchi.

Il reste à savoir jusqu’à quel point cela sera appliqué efficacement par une administration publique québécoise qui ne répond pas toujours aux attentes.

Coup de maître constitutionnel

Au-delà de la question du français, le projet de M. Jolin-Barrette comporte une innovation audacieuse porteuse d’avenir sur le plan constitutionnel si l’on est conscient de la force des symboles en politique, capable de sortir des schémas défaitistes où le Québec est toujours perdant au sein du Canada.

Il s’agit de l’utilisation combinée d’une clause de la constitution canadienne permettant au Québec de se retirer de certaines dispositions de cette dernière biaisées contre lui et d’un autre article lui permettant au contraire de s’insérer à sa façon dans cette même Constitution.

Est incluse dans le projet une disposition de dérogation désormais légitimée, soustrayant par principe la loi sur le français aux décisions des tribunaux basées sur une Charte canadienne des droits et libertés imposée en 1982 au Québec contre sa volonté dans ses champs de compétences. Parallèlement à cela, on invoque un article du texte constitutionnel de 1867 pour affirmer, au sein de la même Constitution canadienne, que les Québécois constituent une nation avec le français comme seule langue officielle et commune.

Cela permet au premier ministre de rappeler au reste du pays la spécificité de l’approche du Québec à l’égard de la Constitution canadienne : y être, mais en partie à sa façon à lui.

On doit regretter toutefois la difficulté à utiliser, avec le concept de nation, celui d’une société distincte québécoise porteuse de pouvoir au sein du Canada.

Cœur manquant

Le premier ministre Legault s’affirme de plus en plus clairement comme un homme politique exceptionnellement habile, porteur d’un discours nationaliste inspirant qui ne craint pas de faire référence au passé.

Il se réclame tout particulièrement du gouvernement de René Lévesque qui avait fait adopter par Camille Laurin cette Charte de la langue française à laquelle M. Legault compare le projet de son ministre Jolin-Barrette. Il y a manifestement ici méprise.

Camille Laurin n’avait pas craint de brasser la cage et de faire l’histoire en imposant la francisation des immigrants par l’école au niveau primaire et secondaire. M. Legault s’est révélé au contraire incapable jusqu’à présent d’appliquer la loi 101 au niveau collégial, comme cela est devenu nécessaire, mesure qui serait pourtant beaucoup plus facile à imposer que la fin du libre choix scolaire naguère pour les non-anglophones.

De façon manifestement abusive, le premier ministre va jusqu’à qualifier d’extrémiste une mesure à laquelle se sont récemment ralliés des gens aussi crédibles que l’ancien chef de cabinet de Stephen Harper, Carl Vallée, Emmanuelle Latraverse et Joseph Facal.

Il prive par le fait même le projet de loi sur le français du cœur structurant et du moteur dont il a besoin, ne semblant pas réaliser que la controverse peut être parfois nécessaire, l’obsession de ne pas faire de vagues pouvant être le signe d’un problème.

Tout ce qui est rare est précieux. Le laborieux contingentement du collégial anglophone prévu dans le projet valorisera encore plus ce dernier aux yeux de ces jeunes francophones pour qui ce ne sera pas un moyen d’apprendre l’anglais – on n’est plus en 1980 ! –, mais une mesure de promotion sociale les incitant à poursuivre leurs études universitaires, leur carrière et leur vie dans cette langue.

Espérons que l’effet cumulatif des mesures de M. Jolin-Barrette aura un impact positif sur le français. Mais espérons surtout que, pour ne pas laisser s’envoler des occasions historiques qui ne se représenteront pas de sitôt, le premier ministre modifiera sa position sur les cégeps pour donner à ce projet de loi le cœur qui lui manque cruellement.

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