Alors que le conflit israélo-palestinien entre dans sa deuxième semaine, l’auteure propose une recension du dernier livre du journaliste français au Proche-Orient Charles Enderlin, De notre correspondant à Jérusalem.

Encore une fois, les regards de la planète sont braqués sur le Proche-Orient où s’affrontent Israéliens et Palestiniens dans les évènements les plus sanglants depuis 2014. Et cela fait 73 ans que ce conflit dure avec ses hauts, mais surtout ses bas, sans qu’aucune solution ne soit en vue. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé d’en trouver.

PHOTO PHILIPPE LISSAC, AGENCE FRANCE-PRESSE

Charles Enderlin

Il faut lire le dernier ouvrage de Charles Enderlin, De notre correspondant à Jérusalem, pour comprendre pourquoi on en est arrivé là. « La communauté internationale a laissé se développer la colonisation israélienne sur 60 % de la Cisjordanie, n’a pas poussé à la relance du processus de paix, se contentant de temps à autre de condamner par communiqués presque copiés/collés les initiatives israéliennes de colonisation. La tension a fini par venir », a expliqué Charles Enderlin dans une entrevue à la radio française il y a quelques jours. Il a alors rappelé que les actuels heurts ont éclaté à la suite de l’annonce de l’expulsion de familles palestiniennes de leurs logements dans Jérusalem-Est pour être donnés à des colons.

Il développe avec moult détails la lente mais inexorable montée de l’extrême droite en Israël depuis l’assassinat de Yitzhak Rabin en 1995 avec des protagonistes qui sont aujourd’hui idéologiquement en miroir : le Hamas refusant de reconnaître l’État d’Israël et le gouvernement de Benyamin Nétanyahou contre la création d’un État palestinien.

Le regard que porte Enderlin sur les drames de la région depuis 50 ans est d’autant plus intéressant que c’est celui d’un journaliste qui a tout vu, tout connu, tout subi.

Être journaliste au Proche-Orient n’est pas de tout repos, tant la pression, souvent intelligemment menée et culpabilisante, est forte. Mais faire ce métier quand on est, comme Charles Enderlin, juif et israélien, correspondant pour la principale chaîne publique de télévision française, France 2, relève non seulement de la gageure, mais surtout du courage.

Ma première rencontre avec Charles Enderlin a eu lieu au Caire. Nous couvrions – lui pour la radio Kol Israël (La Voix d’Israël) et moi pour Radio-Canada – les pourparlers qui avaient suivi la visite choc du président égyptien Anouar el Sadate au Parlement israélien en 1977.

On ignorait encore comment l’initiative de Sadate allait être reçue au sein de la population. La situation était un peu tendue et les autorités égyptiennes avaient logé diplomates et journalistes dans un même hôtel, à Heliopolis, un quartier dans le nord-est du Caire.

Par contre, les conférences de presse avaient lieu à l’hôtel Mena House, de l’autre côté du Caire. Nous nous y rendions tous ensemble dans un même bus – pour notre sécurité. Le bus était coincé dans la célèbre congestion du Caire. Charles était assis près de la fenêtre et moi, à côté de lui. Nous prenions notre mal en patience. Soudain, Charles baisse la fenêtre, sort la tête et crie au chauffeur de taxi immobilisé à côté du bus : « Shalom ! » Moi, je me recroqueville dans mon banc, craignant le pire. Surpris, le chauffeur de taxi hésite quelques secondes, puis réplique avec un grand sourire : « Salam ! »

C’était très beau ! Cela me fit découvrir chez Charles un courage qui n’allait pas se démentir et qui transpire tout au long de son dernier ouvrage.

Et cela a été loin d’être facile, tant tout ce qui touche Israël suscite des passions. Il en a payé le prix fort, soit une décennie de poursuites judiciaires acharnées contre lui, pour avoir annoncé dans un reportage que la mort du petit Mohamed al-Dura, à Gaza, en septembre 2000, lors de la deuxième intifada, était due à des tirs de soldats israéliens.

La dernière fois que je suis retournée en Israël, Charles venait de publier Le rêve brisé, un ouvrage tiré d’un étonnant documentaire sur les dessous de l’échec des pourparlers de paix entre 1995 et 2002.

Il m’avait montré un énorme coffre-fort dans son bureau de France 2 à Jérusalem qui contenait toutes les interviews filmées. « Dès le début des négociations, j’ai fait un pacte avec tous les protagonistes. Ils me laisseraient les interviewer après chaque étape, en échange de quoi je m’engageais à ne rien publier avant la fin, m’a-t-il raconté. Si j’avais attendu la fin pour le faire, chacun aurait blâmé l’autre en cas d’échec ou se serait attribué le mérite en cas de succès. Je n’aurais jamais su la vérité. »

Mais pour obtenir cette collaboration, il fallait avoir bâti une confiance à toute épreuve avec les adversaires, une confiance qui ne pouvait être basée que sur la rigueur et l’intégrité.

Bien sûr, ses auditeurs, ses téléspectateurs – et sûrement bien d’autres – auraient souhaité qu’en tant que Français, juif et Israélien, qu’il ne diffuse pas de critiques d’Israël. « Cela ne me convenait pas, écrit-il. Mentalement, j’ai adopté ma quatrième identité : journaliste. »

C’est une grande leçon de courage journalistique que Charles Enderlin nous offre dans cet ouvrage, sans compter la multitude de détails et de secrets dévoilés qui ont jalonné 50 ans d’histoire au Proche-Orient et qui nous permettent de comprendre pourquoi malheureusement on en est arrivé là aujourd’hui alors que la situation aurait tellement pu être autre si on avait voulu…

* Christiane Berthiaume a été aux services d’information du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et du Programme alimentaire mondial des Nations unies à Genève.

IMAGE FOURNIE PAR L’ÉDITEUR

De notre correspondant à Jérusalem – Le journalisme comme identité, de Charles Enderlin

De notre correspondant à Jérusalem – Le journalisme comme identité

Charles Enderlin

Éditions Le Seuil

Avril 2021

352 pages

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