Durant la fin de semaine dernière, quelques reportages ont fait état d’un record québécois en matière de prescription de psychotropes, entre autres des antidépresseurs. La pandémie et ses contrecoups ont fait s’accélérer une tendance déjà présente avant la pandémie : la médicalisation et la surmédicamentation des Québécois. La tendance serait plus marquée chez les jeunes, notamment chez les jeunes filles de moins de 18 ans, selon des données récentes de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ).

Cette réalité n’est pas anodine : les spécialistes consultés à ce sujet évoquent tour à tour une tendance au surdiagnostic, le recours rapide à la médication, mais aussi le fait que les services psychologiques sont peu ou pas accessibles. Face à la souffrance exprimée par le patient, le seul professionnel qu’il est possible de rencontrer gratuitement et rapidement est le médecin, et il fait le geste qui relève de sa compétence : prescrire.

Depuis plusieurs mois, le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec (RRASMQ) cherche à sensibiliser le gouvernement à une possible médicalisation de la crise ayant comme conséquence une surmédicamentation de la population. Nous nous questionnons : pourquoi recourir d’abord et surtout au médicament, quand des solutions de rechange psychosociales existent et sont reconnues comme étant tout aussi efficaces ? Pourquoi s’en tenir à une réponse strictement biomédicale alors que des doutes planent quant au fonctionnement, mais surtout quant à l’efficacité des médicaments antidépresseurs ? Pourquoi, finalement, individualiser la détresse liée à la crise quand elle renvoie à des émotions essentiellement collectives, qui concernent tout un chacun dans la société ?

Cet accroissement du recours au médicament pour alléger le mal-être a de quoi inquiéter : la prise d’antidépresseurs, si elle peut faciliter le quotidien de certaines personnes, est un geste qui, pour beaucoup, peut être difficile à renverser.

Dans les dernières années, nous ne comptons plus les témoignages de personnes de tous horizons qui ont entamé un processus de sevrage d’antidépresseurs et qui se sont retrouvées mal outillées, et parfois mal accompagnées, dans cette démarche. Elles ont alors réalisé que, si les médecins sont aptes à prescrire et connaissent les balises entourant ce geste, ces professionnels sont souvent mal informés des processus de sevrage et, faute d’informations, recommandent la prise continue de ces médicaments pourtant prescrits au départ pour un usage circonstanciel.

Par ailleurs, plusieurs recherches récentes documentent des effets de sevrage souvent importants avec les médicaments psychotropes, mais aussi la durée trop brève des protocoles de sevrage recommandés par les médecins et le manque d’information à ce sujet, tant chez les professionnels et professionnelles que chez les personnes premières concernées.

Solutions de rechange à la médication

Devant cette hausse marquée de la consommation d’antidépresseurs et plus généralement, de médicaments psychotropes, nous nous interrogeons sur la suite des choses. Comment les personnes à qui on prescrit des médicaments seront-elles accompagnées au moment du sevrage ? Par qui seront-elles accompagnées ? À quelles informations auront-elles accès ? Les médecins eux-mêmes sauront-ils distinguer les effets de sevrage des effets de rechute, et éviter les spirales d’ordonnances ?

La réponse à ces questions est d’une importance majeure pour les personnes concernées par la prise de médicaments, pour qui il est presque impossible aujourd’hui d’exercer leur droit à un consentement éclairé tant est grand le manque d’information concernant le sevrage.

À nos yeux, les gouvernements doivent rapidement prendre acte de cette médicalisation de la crise sanitaire et proposer des solutions en amont et en aval, afin de s’assurer, bien sûr, de protéger la santé mentale des personnes, mais également d’offrir un accompagnement responsable et complet autour de la médication psychotrope et des différentes options qui s’offrent à nous.

Un bon premier pas serait un meilleur encadrement de la prescription et de l’usage des médicaments psychotropes, à l’instar de ce qu’ont fait récemment l’Angleterre et l’Écosse. De surcroît, pour faire face à la souffrance et à la détresse, l’accès à l’accompagnement psychosocial (au-delà des auto-soins) doit être garanti gratuitement à toute personne qui en fait la demande, et ce, dans les meilleurs délais.

Face à cette situation, souvenons-nous : des solutions de rechange à la médication existent. Il faut les reconnaître et les rendre accessibles. Et ne prescrivons pas à la légère : en donnant accès au médicament, rappelons-nous que la personne devra ensuite, un jour ou l’autre, faire face au défi du sevrage, défi devant lequel elle ne devra pas se retrouver seule.

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