Le 20 avril, le juge Marc-André Blanchard a rendu la décision de la Cour supérieure sur la validité de la loi dite « loi 21 » sur la laïcité de l’État. On sait qu’une fois la décision rendue, elle n’appartient plus au juge. Discrétion judiciaire oblige, le juge n’accepte pas d’entrevues, il ne se présente pas en commission parlementaire, il n’est pas présent sur les réseaux sociaux. Cela est conforme au principe de l’indépendance judiciaire. Mais l’envers de la médaille est que sa décision peut être critiquée de toutes parts, sans qu’il puisse réagir.

Ainsi, 24 heures après le jugement, les journalistes exigeaient une réaction des politiciens. Le premier ministre, manifestement, n’a pas eu le temps de bien lire et bien comprendre une décision de plus de 200 pages. Il n’est d’ailleurs pas juriste. N’empêche, il a été obligé d’avoir la réaction du parfait politicien : dire qu’il était déçu de ne pas avoir gagné sur tous les points, et déclarer vouloir faire appel. De même, les partis de l’opposition se devaient de trouver un point faible dans la décision, à leurs yeux, et de se draper du manteau du nationalisme québécois.

Les chroniqueurs s’en donnent à cœur joie. Michel David, du Devoir, pourtant pas connu pour des idées extrêmes, écrit dans sa chronique du 22 avril que la question est de savoir maintenant qui, des juges ou du gouvernement élu, décidera des questions de laïcité de l’État. Il met aussi en doute le choix du juge Blanchard pour décider cette cause, lui « qui avait aussi clairement annoncé ses couleurs » dans une décision antérieure.

Le juge Blanchard fait pourtant bien ressortir que la question en jeu est d’abord politique. Il appartient au gouvernement au pouvoir de faire les choix politiques pour l’ensemble de la société : veut-on rester une province à l’intérieur du Canada ou fonder un nouveau pays, quel système de santé et d’éducation veut-on mettre en place, etc.

Et il a raison de dire que ces questions se règlent ultimement aux urnes : c’est le gouvernement élu par la population qui doit faire les choix les plus fondamentaux.

Mais il n’a pas le choix : la question posée est aussi juridique. Le Canada est doté d’une Constitution formelle, composée de deux lois qui sont juridiquement au-dessus des autres. L’une d’elles contient une liste de droits dits fondamentaux. Le juge se devait donc de vérifier si la loi 21 empiétait sur une ou l’autre des dispositions de la Loi constitutionnelle de 1982.

Experts, sondages et droit international

On aurait aussi avantage à lire attentivement ses remarques sur l’impact des sondages, des avis d’experts en divers domaines, et sur le droit international. Il rappelle, bien justement, qu’il n’est pas à la remorque des sondages. Les témoignages d’experts sont valables dans leur domaine, par exemple l’histoire, mais cela ne doit pas empêcher le juge de trancher lui-même la question juridique. Le droit international peut aussi être parfois utile, pertinent, mais il n’a pas préséance sur le droit interne.

On devrait lire attentivement aussi ses propos sur le stare decisis. La Cour suprême a décidé voici longtemps que le Parlement qui veut utiliser le mécanisme prévu à l’article 33 de la Loi de 1982, pour soustraire une loi à l’application de la Charte, n’a aucune justification à fournir.

Le juge Blanchard peut mentionner, en passant, qu’à son avis, les gouvernements en abusent parfois, mais il a raison de se ranger derrière l’avis de la Cour suprême. Ce n’est pas son choix.

Certains remettent déjà en doute la partie de sa décision sur l’impact de la loi sur les députés. On dit qu’une fois une personne élue comme député, elle serait tenue au respect du Règlement des débats de l’Assemblée nationale, et aux privilèges parlementaires, de sorte qu’elle ne pourrait porter aucun signe religieux. Peu importe l’article de la Charte sur la liberté de religion. On a aussi critiqué en même temps son interprétation trop étroite, dit-on, de l’article 28 de la Charte, sur l’égalité homme-femme, mais trop créative de l’article 29 sur le droit aux écoles confessionnelles.

À mon humble avis, le juge a fait ce qu’il devait faire : donner, au meilleur de sa connaissance, la réponse juridique à la question juridique qu’on lui a posée. Les commentateurs devraient faire attention avant de lancer des : « le juge s’est trompé », « le juge n’a pas compris », « le juge n’a pas vu », etc., comme si la réponse à la question posée était évidente. Le juge Blanchard a fait son travail de juriste, au meilleur de sa connaissance. On verra si un autre tribunal en arrive aux mêmes conclusions. Mais ne lançons pas la pierre à une personne simplement parce qu’elle ne dit pas ce que nous aurions aimé entendre ! Ce n’est pas une preuve d’erreur…

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