En mars 2020, la sidération s’est emparée de nous. Un an plus tard, c’est le vide qui s’est installé au centre de nos vies. Un vide généralisé qui prend toute la place, en balayant les formes de vie les plus précieuses, parmi lesquelles bien sûr les figures, expressions et créations artistiques. Mais ne nous y trompons pas : dans ce coup de balai aussi monumental qu’effrayant, ce n’est pas seulement « le secteur culturel » qui est menacé de mort individuelle et collective. Plus vite et de manière irréversible, son sang, ses artères et son cœur se trouvent frappés à mort : car c’est d’abord la diversité culturelle qui est détruite massivement par les politiques de lutte contre la pandémie, quelle que soit leur légitimité.

Naïvement, nous la pensions encore défendue bec et ongles, voire sanctuarisée par des responsables politiques et administratifs nationaux conscients de l’importance de l’enjeu. Cela au moins depuis le geste historique de l’UNESCO, enrichi par le travail des coalitions de la société civile internationale, lorsqu’elle décida le 2 novembre 2001 d’une Déclaration universelle sur la diversité culturelle. Elle réaffirmait ainsi que les droits culturels, en substance l’accès libre de chaque individu aux cultures de son choix, étaient des droits de la personne aussi essentiels et éminents qu’inaliénables. Puis, le clou fut enfoncé par le marteau d’une convention internationale (2005) censée mettre en œuvre les moyens juridiques concrets, mais aussi le contrôle de la protection et de la préservation de la diversité des formes et expressions culturelles (y compris linguistiques). Hélas, ce fanal des années 2000 à 2007 s’est progressivement dissous dans la brume des désastres économiques, terroristes et pandémiques successifs, comme s’il ne s’agissait plus que d’une antienne dépassée.

Cependant, plus encore que par les guerres contemporaines, les crises économiques, le néolibéralisme effréné et la concentration capitalistique des industries culturelles, la diversité culturelle se voit aujourd’hui massacrée à un degré sans précédent, sacrifiée par ignorance ou par obstination sur l’autel de la distanciation physique, comme si les ravages de cette dernière (psychiques, somatiques, économiques et… sociaux !) n’étaient pas supérieurs à ses vertus sanitaires. Mais peut-on continuer plus longtemps, même un mois… à se nourrir de biberons Netflix et consorts, de captations, d’enregistrements vidéo faits devant des salles vides, de « spectacles vivants » qui ne le sont plus, car ils ne sont plus partagés qu’au travers d’écrans qui instaurent une distance définitive entre artistes et spectateurs ?

Peut-on accepter la mort prématurée, avant accouchement, de ces milliers de films, de représentations théâtrales, de concerts, de présentations de livres, de conférences-débats « en présentiel », de performances artistiques en tout genre… qui apportent une bonne part de son oxygène à l’Humanité ?

Peut-on justifier la mise sur le pavé ou à l’asile de ces millions d’artistes qui, de par le monde, ne peuvent vivre et nous faire vivre sans que nous ayons un accès direct à leurs œuvres sous la forme originale qu’ils ont choisie – forme qui ne peut pas être remplacée par un téléviseur ou un ordinateur ? Peut-on se permettre de faire une croix sur la génération d’artistes 2019-2021 : une saignée qui se révélera peut-être d’impact comparable à celui qu’engendra la guerre de 1914-1918 dans de nombreux secteurs d’activité ?

Le prix à payer pour l’édification de ce long tunnel de « principe de précaution » dans lequel nous nous sommes enfoncés une longue année durant, et dont on n’espère plus voir la sortie, ce prix apparaît excessif, voire déraisonnable.

La culture a horreur du vide dans tous ses états. Le vide, ce sont, bien sûr, les salles vides, les publics absents, la perte du rapport irremplaçable entre artistes (au sens large) et spectateurs, auditeurs, témoins vivants partageant un spectacle qui rend différents la vie et le jour de tous ceux qui y prennent ainsi part, des deux côtés… Mais le vide, c’est aussi le remplissage sélectif et discriminant des écrans, qui tirent les créations vers le bas, qui évincent tout ce qui est « trop » exigeant, difficile, incorrect, non consensuel…

Le vide, c’est surtout celui de l’absence de diversité prescrite sur ordonnance. De fait, en empêchant la culture de se présenter librement face à ceux qui veulent en jouir, d’un même mouvement l’on réduit à néant les droits culturels de chacun tandis que l’on détruit aussi l’essence même de « la culture », qui ne peut pas être l’unique (le paradigme télévisuel) mais seulement le divers !

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