Alors que Min Aung Hlaing, général à la tête de la junte en Birmanie, s’apprête à participer au sommet de crise de l’Association des nations du Sud-Est asiatique (ASEAN) ce 24 avril, le bilan des morts, des blessés et des personnes emprisonnées s’alourdit au pays du golfe du Bengale. Or, un sinistre personnage montréalais, le lobbyiste Ari Ben-Menashe, a signé un contrat avec la junte militaire, et ce, en complète violation de la Loi sur les mesures économiques spéciales du Canada, et son Règlement spécifique en Birmanie.

Ari Ben-Menashe se dit ex-agent de la direction du renseignement militaire israélien, mais pour Israël, « il n’existe pas ». Le lobbyiste offre ses services à de richissimes hommes d’affaires comme à des dictateurs afin de redorer leur blason, en échange de quelques millions : le défunt DArthur Porter, le défunt président zimbabwéen Robert Mugabe, le président déchu de la Côte d’Ivoire Laurent Gbagbo, l’ex-président centre-africain en exil François Bozizé.

En 2019, Amnistie internationale interpellait le gouvernement canadien, à la suite d’un reportage paru dans le Globe and Mail indiquant que l’agence montréalaise Dickens & Madson, dirigée par Ari Ben-Menashe, avait conclu un contrat avec la junte militaire soudanaise, le Conseil souverain de transition, ayant pris le pouvoir après la chute d’Omar al-Bashir, arrêté le 11 avril 2019.

Dans une lettre adressée à la ministre des Affaires étrangères d’alors, Chrystia Freeland, et au ministre de la Justice, David Lametti, nous exhortions le Canada à « examiner de près ce contrat et à prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer qu’il ne facilite pas les violations des droits de la personne au Soudan et ne contribue pas à leur violation ». Nous rappelions que le Conseil souverain tirait sur la foule des manifestants réclamant que le pouvoir soit transféré à des civils, faisant des centaines de blessés et des dizaines de morts.

Le contrat signé entre Ari Ben-Menashe et le Conseil souverain listait des promesses des plus préoccupantes : rencontres avec de hauts responsables politiques russes et américains, dont le président Trump, échange de bons services avec le commandement militaire de la Libye, financement et équipement militaires, investissement américain dans des projets pétroliers…

Les ministres Freeland et Lametti n’avaient pas répondu.

Birmanie

L’histoire se répète avec la Birmanie. Depuis que la junte militaire, dénommée Conseil de sécurité de la Birmanie, a procédé à l’arrestation d’Aung San Suu Kyi, la population a pris la rue, réclamant le retour à la démocratie, fragile, mais en marche depuis 10 ans. Le 11 mars, Amnistie a publié un rapport concluant que la junte utilisait une stratégie consistant à « tirer pour tuer » afin d’étouffer l’opposition.

Or, début mars, nous apprenions qu’Ari Ben-Menashe avait signé un contrat avec les militaires pour « offrir son aide en expliquant la situation réelle en Birmanie ». Il y est question de collaboration avec l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la Russie. L’opération de charme viserait également l’administration Biden et des membres du Congrès.

Des recherches antérieures menées par Amnistie ont démontré comment le déploiement de bataillons d’infanterie spéciaux avait conduit à certaines des plus odieuses violations des droits de la personne. Ce sont ces mêmes bataillons qui ont été reconnus sur les sites de mouvements de protestation depuis le coup d’État du 1er février.

Le 5 février, le Canada a soutenu l’appel d’Amnistie demandant au Conseil des droits de l’homme des Nations unies de convoquer une session extraordinaire, laquelle s’est tenue le 12 février. Le Conseil a adopté la résolution « Incidences de la crise en Birmanie sur les droits de l’homme », demandant le rétablissement du gouvernement de la Birmanie élu le 8 novembre 2020, ainsi que la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes détenues arbitrairement et la levée de l’état d’urgence.

Le 18 février, le Canada a modifié le Règlement spécifique en Birmanie de la Loi sur les mesures économiques spéciales du Canada qui interdit « à toute personne au Canada ou à tout Canadien à l’extérieur du Canada de s’engager dans toute activité liée à tout bien, où qu’il soit situé, détenu par une personne inscrite sur la liste [de personnes désignées] ou en son nom, ou de fournir tout service financier ou connexe ou de conclure ou de faciliter toute transaction en rapport avec une telle activité. Il est également interdit de mettre des biens à la disposition d’une personne inscrite sur la liste ou de lui fournir un service financier ou connexe ou de le faire à son profit ».

Parmi les 54 personnes désignées, figure le général Mya Tun Oo, signataire du contrat avec Ari Ben Menashe.

Le Canada ne peut demeurer les bras croisés vis-à-vis de ce citoyen canadien qui contrevient au Règlement spécifique en Birmanie et qui, par conséquent et par association, se rend complice d’une junte militaire qui n’hésite pas à commettre les pires violations de droits de la personne, sinon des crimes contre l’humanité.

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