Les dernières semaines ont été difficiles. L’annonce du beau temps, la campagne de vaccination et le plateau autour de 700 nouveaux cas quotidiens d’infection que nous avions atteint nous avait redonné espoir de renouer avec un mode de vie un peu plus normal. Nous pouvions raisonnablement espérer retrouver famille et amis dans les parcs et ruelles. Mes enfants piaffaient d’impatience de retrouver leur équipe de soccer pour la reprise des entraînements extérieurs.

Comme plusieurs, j’ai été surpris par le rythme de la relance des activités annoncée par le gouvernement à la fin de mars. Après tout, nous n’étions pas parvenus à descendre sous la moyenne des 700 cas quotidiens et tous étaient au fait que les nouveaux variants sont plus contagieux et virulents. Pourquoi la réouverture simultanée de plusieurs établissements permettant les rassemblements à l’intérieur ? Pourquoi ramener les élèves du secondaire à l’école tous les jours ? L’alternance entre la présence en classe et l’école en ligne n’est pas idéale, mais c’est infiniment mieux pour les élèves et les parents que l’école à la maison à temps plein qui a été rétablie dans quelques régions du Québec.

Science, éthique et politique

J’ai réfléchi assez longuement aux rapports complexes entre science, éthique et décision politique pour comprendre jusqu’à quel point la tâche des décideurs est difficile et ingrate en contexte pandémique. Je l’ai déjà écrit ici, les décideurs doivent faire des choix dits « tragiques », c’est-à-dire que toutes les options disponibles ont un coût éthique important. Il faut alors tenter d’atténuer les conséquences négatives des décisions et d’équilibrer tant bien que mal des intérêts légitimes que l’on ne peut tous satisfaire intégralement. Et si les décideurs doivent impérativement s’appuyer sur la science, nos connaissances demeurent souvent incomplètes et, de toute façon, les données probantes ne nous disent pas comment arbitrer les conflits de valeurs. Bref, une des choses dont je suis certain est que j’aurais moi aussi erré à un moment ou un autre si j’occupais une fonction exécutive.

En plus, n’oublions pas que les pressions pour jeter du lest étaient multiples. Des ténors de la droite identitaire qui ne se sont pas démarqués par leur sagesse pendant la crise dénonçaient certaines des mesures de santé publique en les associant à un rigorisme sanitaire excessif, voire à une nouvelle idéologie « confiniste » ! Comme si certains voyaient dans la distanciation physique et l’isolement un modèle idéal de vivre-ensemble. D’autres, à gauche, arrivent aux mêmes conclusions en voyant des mesures comme le maintien de l’état d’urgence et du couvre-feu comme autant de signes annonciateurs de la dérive despotique d’États pseudo-démocratiques. Je fais le pari ici que ces prises de position ne vieilliront pas très bien.

Oui, le couvre-feu est une mesure grossière et attentatoire aux droits individuels. Elle est grossière car elle est incapable de faire la différence entre le marcheur nocturne respectueux des règles et l’insouciant ou l’égoïste qui se rend à un rassemblement privé hautement à risque.

Mais un critique des couvre-feux qui ne reconnaît pas que nous avions en décembre et janvier un problème de rassemblements à l’intérieur des domiciles joue à l’autruche. Le couvre-feu a, selon toute vraisemblance, réduit le nombre des rassemblements privés.

La santé publique regroupe une large gamme d’expertises scientifiques ; de la modélisation mathématique des épidémies à la virologie en passant par les sciences comportementales et l’éthique appliquée. Les décideurs doivent non seulement identifier les mesures qui ont le plus de chance de réduire la transmission, mais aussi ne pas porter atteinte aux droits fondamentaux plus que cela est nécessaire et anticiper les comportements des citoyens. Si la fatigue pandémique ou la détresse psychologique s’installent, certains n’auront plus la fortitude de se conformer aux règles et d’éviter les comportements à risque. De plus, dans l’environnement cognitif numérique qui est le nôtre, les récalcitrants, les sceptiques et les épuisés peuvent toujours trouver des discours remettant en question le bien-fondé des règles. C’est en partie pourquoi je considère que les critiques des décisions des autorités publiques ont plus que jamais un devoir de nuance et d’humilité pendant cette crise.

Le sens des priorités

Le SARS-CoV-2 a malheureusement muté trop rapidement, et les variants ont commencé à se répandre avant que l’on puisse jouir plus largement des bénéfices de la vaccination. Épuisés par une année de contraintes, il faut une fois de plus accepter de faire des sacrifices afin d’éviter que les hospitalisations repartent à la hausse et que le délestage reprenne. Les décideurs doivent mettre en œuvre des mesures à la fois efficaces et suscitant l’adhésion, tout en se préoccupant de la santé mentale des citoyens et de la relance économique.

Des personnes plus jeunes se retrouvent aux soins intensifs. Des enfants encore mineurs perdront un de leurs parents aux mains du virus. Les professionnels de la santé sont à bout de souffle. Une feuille de route claire et un sens aiguisé des priorités sont nécessaires de la part des décideurs.

Parmi ces priorités, l’ouverture des écoles primaires et, au moins un jour sur deux, des écoles secondaires doit être au haut de la liste, considérant l’importance de la fréquentation de l’école pour les élèves et leurs parents.

L’espoir ayant une puissante force motivationnelle, il faut à mon sens dire aux Québécois qu’ils pourront se réunir à l’extérieur le plus rapidement possible, en maintenant évidemment certains gestes barrières. Avec l’arrivée du beau temps, ils doivent avoir confiance que le couvre-feu sera rapidement repoussé à 21 h 30 et ensuite aboli. Les forces de l’ordre pourraient jouer un rôle facilitateur plutôt que coercitif, tout en ayant le pouvoir d’intervenir lorsque le contexte l’impose.

Il faut aussi permettre la reprise encadrée des sports juvéniles extérieurs, en responsabilisant les fédérations sportives, les clubs et les participants. Ayant été responsable des mesures sanitaires pour l’équipe de soccer de ma fille l’été dernier, je sais que les acteurs impliqués sont capables d’être à la hauteur de ce défi.

Je conviens qu’une des grandes incertitudes scientifiques actuelles concerne la transmissibilité des variants à l’extérieur. Si les données démontrant que les variants, contrairement à la souche originale, se transmettent aisément à l’extérieur, il faudra alors se réajuster, mais le ratio entre les bénéfices des interactions et des activités à l’extérieur et le risque de transmission demeure probablement positif, du moins jusqu’à preuve du contraire. Dans tous les cas, une vision claire, transparente et réaliste d’un point de vue psychologique doit être proposée aux citoyens.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion