Le directeur parlementaire du budget fédéral a publié mercredi dernier une étude sur le revenu de base garanti. Le dispositif – proposé par des parlementaires et non par le directeur du budget, je tiens à le préciser – prend la forme d’un impôt négatif pancanadien financé conjointement par les provinces et le gouvernement fédéral.

Les premiers résultats sont fort impressionnants et indiquent une sortie de pauvreté pour plus de six millions de Canadiens. Mais toute bonne chose ayant habituellement son revers, les médias se sont empressés d’ajouter qu’une telle réforme coûterait au minimum 85 milliards de dollars par année.

Cette dernière affirmation porte à confusion et ne reflète nullement les conclusions du rapport. Une mise au point s’impose alors que le Parti libéral du Canada s’apprête à discuter du sujet lors de son congrès de la fin de semaine.

Une réforme à coût nul

Le coût budgétaire de cet impôt négatif est en fait nul ou très marginal comme détaillé dans le rapport. La raison en est fort simple, la mesure s’autofinance par la suppression, complète ou partielle, de 36 programmes, fiscaux ou transferts directs aux personnes, provenant du fédéral et des provinces. Certains commentateurs ont simplement confondu coût brut de la mesure et coût net (après substitution), une erreur malheureusement fréquente sur ce sujet, mais que le Directeur parlementaire s’abstient quant à lui de commettre.

Mais pour les 6,4 millions de Canadiens qui sortiront de la pauvreté définitivement, ils s’en trouvent tout de même 16,8 millions pour financer cette amélioration par la perte d’un certain nombre d’avantages, notamment fiscaux, il faut aussi le dire.

Ce transfert de pouvoir d’achat des citoyens plus fortunés vers les moins fortunés constitue une stratégie de lutte contre la pauvreté défendable, là n’est pas mon sujet. Il cache cependant, en plus de l’enjeu de sa recevabilité pour ceux qui perdront au change, une difficulté d’un tout autre ordre. Celle-ci doit nous amener à réfléchir sur le type de revenu de base qui convient le mieux au Canada.

Un revenu de base pour une fédération moderne

Le directeur n’avait pas pour mandat d’évaluer la faisabilité politique ou même administrative de la mise en place d’un impôt négatif pancanadien. L’exercice demeure budgétaire et prospectif. Mais comme nous vivons dans un régime fédéral et que les provinces ne sont pas des « créatures » soumises aux diktats du gouvernement central, la proposition, sous sa forme actuelle du moins, n’est ni souhaitable ni même réaliste.

Les provinces interviennent déjà beaucoup dans les transferts aux particuliers et c’est heureux qu’il en soit ainsi. On ne voit pas comment et pourquoi elles devraient accepter d’abandonner leurs compétences dans le domaine au profit d’un programme fédéral pancanadien, serait-ce un impôt négatif aussi progressiste que celui discuté ici. De plus, dans un régime unitaire, un impôt négatif reste déjà difficile à réaliser. Dans un régime fédéral aussi décentralisé que le nôtre, où les compétences en matière de sécurité sociale sont partagées et où les mesures fiscales et de transferts aux personnes sont foncièrement hétérogènes, il ne faut pas même pas y penser.

C’est la raison pour laquelle toute réforme viable en mesure de nous conduire vers une forme améliorée de revenu minimum garanti au Canada doit se faire à partir des programmes canadiens existants.

La façon la plus simple d’y arriver n’est cependant pas l’impôt négatif pancanadien du rapport, car cela exigerait pratiquement l’uniformisation des programmes de transferts fiscaux et financiers dans les provinces et même leur effacement. Il faut lui préférer une allocation universelle, un demogrant, semblable dans sa forme à la PCU. Les provinces pourront ainsi maintenir leur autonomie en matière de soutien du revenu et continuer d’apporter des suppléments.

Ce sera cependant une PCU améliorée. Elle se situera tout d’abord à un niveau inférieur afin de le rendre budgétairement soutenable. Elle pourra ensuite progresser selon notre richesse collective et surtout fluctuer pour tenir compte de circonstances exceptionnelles comme une pandémie. En d’autres mots, une fois le bon dispositif en place qui permet de rejoindre l’ensemble de la population et de n’oublier personne, il ne restera plus qu’à ajuster le débit aux besoins et à notre capacité financière.

Ce revenu de base individualisé versé à tous les Canadiens adultes devrait être financé par substitution, notamment à des crédits d’impôt non remboursables déjà identifiés par le Directeur du budget dont les effets distributifs sont limités, pour ne pas dire régressifs. L’objectif pourrait être, dans un premier temps et pour donner un ordre de grandeur, d’atteindre un montant se situant autour de 750 $ par mois pour chaque Canadien. Les provinces, quant à elles, pourraient continuer de verser le soutien direct et indirect à leur population. C’est peu, diront certains, mais c’est pourtant suffisant pour sortir de la pauvreté un nombre important de Canadiens. Ceux, tout d’abord, qui se situent près des seuils de faible revenu. Ceux, ensuite, qui vivent de l’assistance sociale et qui pourront en plus désormais compter sur un transfert qui ne les limite plus autant et qu’ils conserveront même s’ils prennent un emploi ou s’ils décident de vivre en ménage.

Commençons donc modestement en ayant à l’esprit la situation de ceux qui ont le moins et il sera toujours temps, par la suite, de voir à l’augmentation progressive et intelligente de ce revenu de base.

Un revenu socle, universel, transparent, individualisé et surtout compatible avec la structure fédérale dans laquelle nous vivons.

L’État fédéral a joué dans le passé un rôle majeur pour l’édification d’un État-providence canadien moderne. Les réformes les plus audacieuses furent réalisées progressivement et par intégration de mesures sectorielles obsolètes. Cela ne sera pas différent avec le prochain revenu de base canadien universel. Il ne lui manque qu’une volonté politique et de nombreux autres travaux d’aussi bonne qualité que celui initié par le Directeur parlementaire du budget et son équipe pour voir à son éventuelle et nécessaire implantation. 

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