Dans ses mémoires, le président Obama écrit que la question raciale est « au centre d’une guerre culturelle » dans son pays. Certes, les inepties racialistes observées dans les universités américaines et européennes n’ont pas atteint au Québec le même degré d’outrance.

Il reste que le discours racialiste est maintenant au cœur de notre vie universitaire et qu’il infuse peu à peu l’ensemble de la société québécoise. S’il est juste d’affirmer, comme l’a fait récemment dans ces pages le professeur Jocelyn Maclure, que le « zèle idéologique et les excès militants sont […] une composante irréductible de la vie universitaire », il est faux en revanche de prétendre que le militantisme actuel de la culture du bannissement (cancel culture) s’apparente au mouvement de contestation étudiante de la fin des années 1960, dont il ne serait qu’une anodine adaptation à l’air du temps.

En réalité, nous assistons à l’émergence d’une révolution culturelle qui remet en cause, au nom de l’antiracisme et des droits des minorités, les règles normatives de la démocratie, pour les assujettir aux désirs individuels et aux particularismes sociaux les plus divers, dans le but inavoué de fonder une démocratie à la carte. L’idéologie racialiste de la culture du bannissement est une idéologie politiquement régressive, caractérisée par les « passions unanimes » (Hannah Arendt), la fermeture idéologique, un imperturbable aveuglement à l’autre, et adepte d’excommunications, de chasse aux sorcières, de dénonciations haineuses, d’exclusions et de ségrégations.

On en arrive ainsi à ce curieux paradoxe : au nom du respect de la liberté des discours et des sensibilités, on façonne un espace de discussion réfractaire à l’expression de la dissidence.

Ce militantisme, porté par une obsession purificatrice, revendique un illusoire espace sécurisé (safe space), conviant l’université et le débat collectif à vivre dans une cage de Faraday idéologique, à l’abri de la moindre dissonance.

Toute entreprise politique qui ambitionne de purifier le débat public ne peut aboutir qu’à une forme de tyrannie. Il n’est pas étonnant que le mouvement de la culture du bannissement origine des États-Unis. Il est imprégné du même idéal messianique que les églises évangélistes américaines, il partage avec elles une identique quête de pureté morale et idéologique. Une même ferveur religieuse les anime, mélange de certitudes de fer et de fanatisme haïssable. Or, il est illusoire d’engager un dialogue rationnel et respectueux sur la base de tels principes.

Exiger de la liberté d’opinion qu’elle soit exempte d’offense à autrui, c’est d’avance récuser tout débat libre. Le monde des idées est celui de l’inconfort intellectuel, on ne saurait en faire une abbaye moyenâgeuse où le carcan identitaire fait office d’état civil mental.

Quand le ressenti devient liberticide, il cesse d’être légitime. Quand un recteur invoque le respect des micro-agressions en prétendant respecter la diversité, il commet un contresens. En réalité, il ne fait que justifier la censure, il légitime la logique mortifère des ennemis de l’université et de la liberté de penser. L’université qui consent à interdire – les livres, les mots – se renie elle-même. Et à force de s’avachir ainsi dans le déni et le lâche compromis, elle ouvre la porte à une nouvelle modalité d’existence de la liberté d’opinion, plus répressive et intolérante.

L’université n’est pas un espace sécurisé, elle en est même l’antithèse par excellence. Elle n’a jamais été ce lieu où l’étudiant doit être couvé et protégé des opinions contradictoires. Il est urgent d’ouvrir les yeux : si nous voulons que la démocratie reste notre demeure, il ne faut céder en rien aux revendications régressives de la culture du bannissement.

Car le choc des identités qu’elle promeut, la posture de revendications perpétuelles qu’elle justifie, ne peuvent mener qu’à la ruine du vivre-ensemble.

Face à son projet politique, il ne faut jamais céder à la facilité trompeuse de l’accommodement. Tolérer l’intolérance, à coups d’accommodements successifs pour apaiser une polémique qui dérange, constitue un piège qu’un citoyen progressiste doit désavouer.

Dans cette société que l’idéologie racialiste cherche à construire, chacun est le procureur d’autrui, personne ne tend plus la main à celui qui est son contraire. Empêtrée dans ce ghetto identitaire, la condition humaine n’est plus que déracinement et chaos permanent. L’espace sécurisé n’est rien d’autre qu’un rétrécissement du spectre des relation humaines. Dans une société réellement démocratique, chacun est invité à « courtiser le consentement de l’autre » (E. Kant) par la persuasion, par la recherche du savoir et du vrai.

La culture du bannissement et l’idéologie racialiste nous convient à une société des minorités où chaque groupe humain n’existe et se développe que par la seule force de ce qui le différencie de l’humanité collective, par essence perçue comme hostile. Cette conception du politique constitue une menace à tout projet démocratique. La démocratie n’existe que dans un tissu de relations contradictoires qui seul permet la diversité des opinions. Refuser le débat qui offense ou qui trouble, c’est amputer la liberté de tous. Avant qu’une idéologie archaïsante fasse main basse sur ce qui reste de bon sens, il est temps de réagir.

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