Le budget du ministre des Finances a été généralement bien reçu. Eric Girard ajoute des dépenses dans des secteurs affectés par la pandémie ou pour la relance économique. Il n’augmente pas les impôts. Et il échelonne le retour à l’équilibre budgétaire sur sept ans.

Certains considèrent que c’est un budget relax dans les circonstances. En réalité, le retour au déficit zéro ne sera pas du tout relax. Voici pourquoi.

Le retour à l’équilibre budgétaire, selon la loi, est le solde calculé après les contributions au fameux Fonds des générations. Pour l’année financière 2020-2021, frappée par la pandémie, ce solde est négatif et il est estimé à - 15 milliards de dollars. Le plan budgétaire 2021-2022 prévoit qu’il diminuera à - 12,3 milliards et il continuera de baisser graduellement par la suite jusqu’au retour à l’équilibre en 2027-2028.

Malgré l’échelonnement sur sept ans, le retour à l’équilibre ne sera pas facile pour plusieurs raisons. À partir de 2022-2023, la croissance régulière des dépenses de programmes sera limitée en moyenne à seulement 3 % par année.

Mais en plus, à compter de 2023-2024, le cadre financier pluriannuel indique clairement qu’il faudra amputer cette croissance par des coupes d’un montant de 1,3 milliard chaque année durant cinq ans, ce qui fera un montant cumulatif de 6,5 milliards en 2027-2028. Le niveau prévu des dépenses de programmes, qui est de 139,2 milliards avant les coupes, ne sera plus que de 132,7 milliards en fin de période après les compressions.

Il faut aussi tenir compte de l’inflation, car on prévoit une augmentation générale des prix d’environ 2 % annuellement ou 11,3 % au total. En 2027-2028, si on tient compte de cette inflation, le niveau prévu des dépenses de programmes de 139,2 milliards équivaudra en fait à 123,5 milliards en dollars constants. Et après les compressions de 6,5 milliards, il ne sera que de 117,0 milliards, soit à peu près le même niveau qu’en 2021-2022.

Un scénario irréaliste

En d’autres mots, il n’y aura aucune augmentation réelle de ressources durant toute la période. C’est un scénario irréaliste, car au moment où la crise de la pandémie a commencé, les programmes ne fonctionnaient déjà qu’avec un minimum de ressources. Comment pourra-t-on alors rééquilibrer non seulement les réseaux, mais encore les autres programmes qui auraient aussi besoin d’un refinancement significatif ?

Le deuxième constat qui est également surprenant dans le budget, c’est le maintien des versements au Fonds des générations. Ces versements sont estimés à 3 milliards de dollars pour 2020-2021 et ils augmenteront graduellement à 4,9 milliards en 2027-2028. Le montant cumulatif durant la période couvrant le cadre financier pluriannuel est de 30,8 milliards, montant qui sera transféré à la Caisse de dépôt et placement, dont 86 % des actifs sont investis hors Québec, ce qui en soi n’est pas de nature à favoriser la relance de l’économie.

Comment financer un tel transfert de liquidités quand le solde budgétaire avant transfert n’est pas suffisant pour l’absorber ? La réponse est qu’il devra être financé par une hausse de la dette. Mais pour le ministère des Finances, ce n’est pas un problème, car cette hausse de la dette brute est dissimulée puisqu’elle est automatiquement contrebalancée par une hausse de l’actif du Fonds des générations, qui est toujours en soustraction pour calculer le total de la dette brute.

Cette opération compliquée signifie que le gouvernement empruntera afin de pouvoir continuer à rembourser sa dette sans que cela paraisse. C’est une politique difficile à comprendre, d’autant plus qu’elle est contraire à la règle comptable normale définissant la dette brute. Le Fonds des générations, qui est un actif financier spéculatif, ne devrait pas être soustrait de la dette brute.

Quoi qu’il en soit, malgré le choc causé par la pandémie, le gouvernement a décidé de respecter intégralement les principes de base de la politique budgétaire mise en place au cours des 20 dernières années. Cette orientation aura trois conséquences principales qui sont inappropriées.

– En ce qui concerne les programmes de services, le gouvernement prétend pouvoir les rééquilibrer même s’il doit en même temps couper leur enveloppe budgétaire globale ;

– En ce qui concerne la dette accumulée qui a été causée par les déficits opérationnels, le gouvernement va continuer à la rembourser via le Fonds des générations même s’il faut emprunter pour le faire ;

– En ce qui concerne les règles comptables, elles seront respectées intégralement, car l’application de ces règles inspirées de celles utilisées par le secteur privé est, semble-t-il, garante d’une gestion efficace et rentable des services publics, sauf évidemment pour la comptabilisation de la dette brute qui est diminuée arbitrairement de la valeur de l’actif accumulé dans le Fonds des générations.

Les agences de notation ont réagi favorablement, jugeant que les prêteurs de fonds ont l’assurance à long terme que les prêts au gouvernement du Québec sont sécuritaires. Mais pour les contribuables du Québec, la question est de savoir si la politique de retour à l’équilibre telle que décrite dans le budget 2021-2022 est crédible. La réponse est non, car on ne sait pas ce qui va véritablement se passer à compter de 2022.

Pour être franc, devant tous les défis qui nous attendent, la vraie question est de demander si les finances publiques du Québec ne s’en vont pas dans un cul-de-sac.

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