Le 24 mars, en début de soirée sur les ondes de Radio-Canada, le grand patron de CDPQ Infra, Jean-Marc Arbaud, a tenté de défendre le projet du REM de l’Est en insinuant presque que les très nombreux opposants qui se sont manifestés ces dernières semaines ne savaient pas de quoi ils parlaient, rejetant même, sur cette lancée, le reproche fait à l’organisme de manquer de transparence.

C’est là, pour une entreprise qui a allègrement imposé aux élus municipaux des ententes de confidentialité et placé l’Autorité régionale de transport métropolitain et les municipalités devant un fait accompli, ajouter l’injure à l’insulte.

Invoquer la rapidité avec laquelle le REM de l’Ouest a été mené pour justifier le REM de l’Est est un argument irrecevable. Ce que M. Arbaud oublie de rappeler, c’est que le sous-financement chronique des transports collectifs dans la région de Montréal et les tergiversations qui ont miné plusieurs projets ont été pour beaucoup le fait du gouvernement du Québec. Mais il évite aussi de mentionner qu’on a donné à CDPQ Infra des moyens dont aucune autre société de transport n’a jamais disposé, tant en termes de gestion du projet – on balaie d’un revers de main le rapport du BAPE et on réalise les travaux sans qu’aucune vue d’ensemble ne soit disponible − que de financement – on bénéficie d’un rendement que le REM ne peut engendrer, tant s’en faut, et qu’il obtiendra en partie en drainant à son profit des revenus normalement destinés aux autres sociétés de transport. Comme conditions gagnantes, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on a souvent vu pire.

Le concept de réseau

L’appropriation du terme réseau en dit d’ailleurs long sur l’arrogance de CDPQ Infra. Ce faisant, on suggère que les autres composantes du système de transports collectifs métropolitain − le métro, les trains de banlieue, le futur SRB Pie-IX et les lignes d’autobus − ne constituent pas des composantes d’un réseau ou ne constituent que les composantes d’un réseau de second ordre. Il n’est pas inutile de rappeler que la mise en réseau n’est pas le fort de CDPQ Infra. C’est seulement à la suite de nombreuses interventions que l’organisme a finalement accepté de construire des gares intermodales permettant une correspondance avec les stations de métro McGill et Édouard-Montpetit, un oubli étonnant pour des spécialistes des transports collectifs. Sans compter que CDPQ Infra ne s’inquiète guère des conséquences de ses décisions sur les autres composantes du réseau.

C’est d’ailleurs sous l’angle d’une conception du réseau des transports collectifs que plusieurs critiques ont été formulées.

Pourquoi a-t-on retenu ces tracés qui laissent en plan une bonne partie de l’Est montréalais et qui risquent de concurrencer le train de banlieue de Mascouche − déjà hypothéqué par l’exclusivité de CDPQ Infra sur le tunnel du mont Royal −, la ligne bleue – dont la réalisation est compromise, aux dires du premier ministre justement au motif de concurrence − et le SRB Pie-IX ? Tout se passe comme si on avait affaire à une concurrence exacerbée entre des entreprises privées, concurrence dont on espérerait obtenir à terme une amélioration du service. Or, tel n’est pas le cas, d’autant que CDPQ Infra jouit de règles du jeu très avantageuses qu’on refuse aux autres organismes en transports collectifs.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-Marc Arbaud, président et chef de la direction de CDPQ Infra

En centrant le débat sur l’esthétique des pylônes devant être construits dans le terre-plein du boulevard René-Lévesque et en insinuant que c’est seulement un problème de design, CDPQ Infra écarte d’un revers de main les inquiétudes tout aussi légitimes des populations de l’Est montréalais et évite de répondre aux questions précédentes, y compris en ce qui concerne le mode imposé.

En fait, CDPQ Infra défend un modèle d’affaires au détriment de l’intérêt collectif. Une situation qui me rappelle celle des premiers moments du projet du Vieux-Port de Montréal, alors que le gouvernement canadien entendait imposer aux Montréalais un projet immobilier calqué sur celui de Toronto. Seule une mobilisation étendue et la dénonciation sur la place publique de la manière dont l’intérêt collectif était mal servi par ce coup de force ont permis aux Montréalais de se doter d’un Vieux-Port exemplaire. Saurons-nous à nouveau résister aux sirènes d’un modèle d’affaires qu’on veut nous imposer en affirmant abusivement qu’il sert l’intérêt public ?

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