J’ai un grand respect pour le Conseil supérieur de l’éducation. De 2010 à 2018, j’y ai représenté l’ordre primaire. Au fil des rencontres, à travers les problèmes abordés autour de la table, j’ai constaté que même comme enseignante, je pouvais témoigner librement de mon expérience au quotidien, proposer des solutions et partager mon anticipation des écueils possibles. J’y ai été reçue avec la même écoute qu’on accorde généralement à une citoyenne, adulte responsable, ayant développé une certaine expertise et désirant participer, avec d’autres, au développement d’un domaine qui lui tient à cœur.

Je ne suis plus membre du Conseil, mais toujours passionnée d’éducation et c’est à travers le même dialogue respectueux que je veux adresser au Conseil les questions que j’aurais posées autour de la table à propos du du document Santé et bien-être du personnel enseignant1, paru en janvier 2021. Ce document, je l’ai lu avec un malaise grandissant, tant le traitement que vous y faites du corps enseignant est mal avisé, voire violent à son égard.

Dans ce document, comme portrait de la situation, vous choisissez de décrire deux conditions particulières pour bien saisir, selon vous, les enjeux actuels : la charge émotionnelle liée principalement aux relations interpersonnelles et la violence qu’on retrouverait à tous les niveaux. Pourquoi ?

Des recherches démontrent que les enseignants aiment enseigner, mais que le choc brutal auquel elles et ils sont confrontés émane des conditions d’exercice de la profession. Ce sont des constats sur le terrain. Pourquoi choisir de prioriser la charge émotionnelle et la violence ? Ces deux problématiques découlent fortement du contexte. Vous proposez de l’ignorer ?

Des sourires plutôt que du soutien

Il y a plus dommageable dans ce document. J’y ai lu que l’enseignante, l’enseignant qui craque, qui se retire temporairement, ou pour de bon, est nuisible à la société. D’abord parce qu’il a coûté cher à l’État ! Puis, parce que son remplacement aussi coûte cher. Et que dire de l’effet de la perte d’expertise dans le milieu, qui devient fragilisé, et où l’enseignement risque d’y être de moindre qualité ? Sans oublier ceux qui restent et qui font augmenter le stress de leurs élèves en étant moins souriants ou disponibles pour tout ce qu’on leur demande en surplus de tâche ? Vraiment ? C’est l’angle qu’on devrait choisir ?

Vous en arrivez finalement à la proposition de solutions. Le mieux serait donc d’introduire, en formation initiale et continue, un cadre de développement des compétences sociales et émotionnelles des enseignants. À l’aide de cinq compétences (la conscience de soi, l’autogestion, la conscience sociale, les habiletés relationnelles, la prise de décision responsable), on amènerait les enseignants à entretenir de meilleures relations avec les élèves, mais aussi les collègues, les parents, etc., et on verrait augmenter leur motivation au travail ; ils resteraient en place. Tout cela, même si on continue d’ignorer leurs conditions de travail ?

Ce n’est pas d’une reprogrammation de leur cerveau émotionnel dont les enseignants ont besoin, mais de conditions de travail dignes de l’engagement dont ils témoignent.

Ce n’est pas de sourire plus et mieux à tous ceux qui refusent de voir la situation en face dont les enseignants ont besoin, mais de personnes responsables, solides, qui ont le courage de regarder avec eux, en profondeur, ce système qui enterre tant d’engagement, d’énergie, de créativité, d’humanité, d’espoir, de compétences, pour en corriger vraiment les dérives et faire à nouveau du terrain un lieu d’éducation de la personne, en société.

La recherche contribue à faire avancer les choses ou à prolonger, pour encore un moment, la dérive amorcée. En jetant un coup d’œil sur les offres patronales pour la nouvelle convention collective, on peut constater que les autorités en place manquent d’un respect élémentaire envers le personnel enseignant en refusant d’apporter un soutien réel pour corriger la détérioration grandissante des conditions de travail. Si, en plus, le ministère décidait de mettre de l’avant les propositions du Conseil supérieur de l’éducation, la liberté d’être du personnel enseignant, déjà malmenée, risquerait de s’enfoncer avec toutes les conséquences désolantes que cela pourrait provoquer.

Le personnel enseignant n’est pas une propriété de l’État. Faisons nos devoirs, cessons de l’oublier.

1 Consultez le document du Conseil supérieur de l’éducation

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