Depuis un an, je collabore à titre d’usager de services avec une équipe multidisciplinaire d’un centre hospitalier montréalais ayant une expertise de pointe en santé mentale qui, grâce à la visioconférence, prodigue des recommandations à d’autres équipes de partout dans la province. Ces équipes soignent des gens aux prises simultanément avec un trouble mental et un trouble de l’usage de substance telle une drogue ou l’alcool.

La raison qui revient le plus souvent lorsque les équipes nous contactent pour avoir de l’aide : impasse thérapeutique. Ainsi, bien que l’expertise pour soigner cette population se soit grandement développée, trop souvent encore, des thérapeutes ne savent pas exactement comment traiter ces cas spécifiques de gens qui souffrent depuis des années et qui ont probablement perdu l’espoir de s’en sortir. De bien meilleurs soins sont donc donnés à des gens dont le pronostic était bien pire il y a à peine quelques années.

Avant de m’accomplir et de m’épanouir dans mon rôle de patient-partenaire et d’intervenant auprès des jeunes ayant des problèmes de santé mentale, j’ai moi-même traversé le désert.

Alternant d’un médicament à l’autre sans succès pendant des mois, j’ai déjà demandé à mes parents de m’envoyer dans un pays où l’aide médicale à mourir pourrait mettre fin à mes souffrances.

Or j’ai eu accès aux meilleurs soins qui soient et, alors même que je vivais une troisième rechute due à mon trouble bipolaire de type II, un trouble considéré comme « grave », j’ai réussi à tenir bon pour finalement envoyer promener la maladie et retrouver le sourire. C’est donc autant mon vécu de soigné que mon expérience auprès des soignants qui me poussent à me prononcer sur l’aide médicale à mourir pour les gens ayant des troubles mentaux, question viscérale pour moi s’il en est.

Vertige

Les raisons invoquées pour étendre l’aide médicale à mourir aux gens souffrant d’un trouble mental sont très controversées. C’est parce que la science n’est pas encore capable de se prononcer de façon nette sur le caractère incurable et irréversible d’un trouble mental, même s’il est chronique et sévère. Comme le soulignaient des psychiatres dans un texte d’opinion paru dans Le Devoir en février dernier, la maladie peut évoluer sur des années et le rétablissement est possible alors même que tout semblait jouer contre un patient. Aussi, je ne peux m’empêcher d’éprouver un certain vertige en tentant de comprendre la position des cliniciens qui défendent l’aide à mourir, de mon point de vue de patient qui s’est rétabli.

En dehors de ce débat d’une complexité inouïe à propos duquel je ne prétends pas avoir toutes les réponses, je trouve qu’il y a quelque chose de contrariant à voir nos élus débattre d’une proposition aussi audacieuse et avant-gardiste alors même que les soins du système de santé actuel sont parfois dignes de la préhistoire.

Comment, en effet, peut-on réfléchir à accompagner un patient dans la mort quand, toute sa vie, on n’a pu lui offrir suffisamment de soins pour s’accrocher à la vie ?

Chaque progrès que fait la psychiatrie fait reculer le caractère irrémédiable de la souffrance, comme c’est le cas lorsque l’équipe avec laquelle je collabore diffuse les connaissances les plus avancées concernant les personnes les plus vulnérables. De même, plus on intervient de façon précoce et de manière vigoureuse, comme on le fait maintenant pour la psychose chez les jeunes, plus on déjouera les pronostics et on endiguera la croyance selon laquelle la souffrance provenant de la maladie mentale est une fatalité.

À l’heure actuelle, la seule position morale consiste à ce que la tenue du débat sur l’élargissement de l’aide à mourir s’accompagne d’investissements substantiels et récurrents qui dépassent largement les sommes actuelles qui n’ont servi qu’à traverser la tempête de la COVID-19. Mentionnons à cet égard que le coronavirus a enclenché une pandémie de souffrance psychologique qui n’est pas près de se terminer. Il faut se demander de quoi aurait l’air la vie de ceux qui font la demande d’aide à mourir s’ils avaient bénéficié tout au long de leur existence d’un intervenant qui les aurait aidés au gré de leurs besoins, d’un logement qui leur aurait permis de garder leur dignité ou encore de soins à la fine pointe des connaissances. Le système actuel ne répond pas aux besoins de tous ceux qui devraient bénéficier de ces béquilles.

Une foule d’outils de différentes natures sont désormais à notre disposition pour s’attaquer à la souffrance psychologique : des politiques sociales comme le revenu minimum garanti qui mettrait en partie fin à l’insécurité financière des moins fortunés, des avancées technologiques comme l’intelligence artificielle au service de la santé publique, de la recherche sur des traitements pharmacologiques qui pourrait mener à la découverte de nouvelles molécules salvatrices, l’accompagnement des personnes malades par leurs pairs pour susciter l’espoir chez eux et j’en passe. Toutes des initiatives qui n’attendent que d’être déployées pour qu’on puisse se dire que, collectivement, au moins, on aura donné tous les moyens possibles pour que tous les gens qui souffrent s’accrochent à la vie.

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