Ma grand-mère disait souvent que si l’eau est présente dans les rituels de toute l’humanité, c’est parce que nous lui devons à la fois la vie et la mort.

Une incontestable sagesse qui explique que sa proximité nous fait autant de bien que son intrusion subversive dans notre intimité pendant une crue nous fait basculer dans le malheur. Avec le printemps qui approche, il suffit de poser la question à toutes les personnes dont la demeure a déjà été visitée par une rivière sortie de son lit pour comprendre l’ampleur d’une telle détresse.

Au tout début de cette histoire qui nous a vus naître, c’est une tombola spatiale qui a actionné le boulier qui positionnera la Terre dans un étroit couloir du système solaire compatible avec l’existence d’eau à l’état liquide. C’est à cette chance cosmique que nous devons le miracle de notre existence. Proche de 3 milliards d’années de vie s’écouleront dans cette eau liquide avant que les premiers animaux et végétaux primitifs ne partent à la conquête de la terre ferme. Ce qui explique qu’aujourd’hui, en plus de lui devoir notre existence, nous sommes encore si inféodés à cette mer ancestrale qu’on peut dire que nous ne l’avons véritablement jamais quittée. Au contraire, elle est enfermée dans notre corps sous forme de liquides physiologiques salés, dans lesquels baignent nos cellules qui circulent dans nos vaisseaux sanguins, semblables à des rivières.

Oui, c’est à l’eau liquide que nous devons la vie. On entend souvent à tort les gens parler de la Terre comme étant la mère du vivant. En vérité, on devrait bien plus parler de notre Mer-Mère que de notre Terre-Mère. Pour cause, l’évolution de la vie s’est passée bien plus longtemps dans les eaux que sur les terres émergées.

Depuis le début de cette grande aventure, la biodiversité a explosé dans toutes les directions pour nous gratifier de ce magnifique spectacle sur lequel Sapiens tire progressivement les rideaux dans ce qu’il est convenu aujourd’hui d’appeler la sixième extinction.

Puisque je ne veux pas m'étendre sur ce sujet, je vais revenir à cette eau salée qui nous coule dans les veines. L’humain aime bien se présenter comme un animal terrestre. Pourtant, il demeure un enfant venu lointainement des flots qui garde toujours dans son océan intérieur des souvenirs de ses profondeurs marines. De ces reliquats de mer intérieure en nous, il y a entre autres le sang, la sueur, le liquide amniotique, mais aussi les larmes, qui, en cette période de turbulences, font partie de nos armes de résistance passive. Comme une maman apaise son bébé, cette eau salée qui s’écoule de nos yeux quand on a le vague à l’âme nous sauve aussi de bien des naufrages.

Si je vous raconte des histoires d’eau et de vie dans cette chronique, c’est aussi parce que je trouve qu’il y a une certaine analogie à faire entre cette crise sanitaire et l'inondation d’un sous-sol. En effet, quand l’eau d’une rivière déborde et envahit notre maison, c’est la catastrophe et on est prêt à tout pour la voir sortir et aller couler ailleurs. Par exemple, dans leur entreprise bien mystique de fondation de Ville-Marie, devenue Montréal, le sieur de Maisonneuve et ses amis ont vu leur quotidien rapidement perturbé par les inondations. C’est à coup de prières et de promesses célestes que les colons avaient juré à la Sainte Vierge de lui ériger une croix en guise de remerciement. Cette fameuse croix, dont la descendance trône encore sur le mont Royal, est là pour témoigner du traumatisme qu’apportent les gros dégâts d’eau chez ceux qui les subissent. De la même façon, nombreux sont les gens aujourd’hui à genoux pour demander au ciel ou à la science de les sortir de ce gros merdier que nous traversons. Quand l’eau envahit notre maison, c’est le drame et tous les moyens sont bons pour la faire sortir. Pourtant, lorsque l’envahisseur liquide finit par se retirer, les conséquences peuvent être encore plus désastreuses que la cause. Pensons ici aux traces qu’il laissera dans les murs et les planchers en proie aux moisissures et autres micro-organismes. Il y a aussi la boue collante qui s’incrustera dans tous les recoins et les meubles en début de putréfaction qu’il faudra jeter. Disons qu’advenant une inondation, le reflux peut être aussi traumatisant que le flux.

Dans le cas de cette pandémie, dont on souhaite ardemment la fin, ce sera pareil. Après la vaccination et la fin de la turbulence, il restera beaucoup de choses à réparer et à nettoyer dans nos sociétés.

Il faudra faire les deuils, s’attaquer aux épidémies de troubles de santé mentale, constater la mort de tous ces petits commerces et autres entreprises qui ont été emportés par le virus. Il y a aussi les victimes du délestage dans les hôpitaux, qui continueront indirectement de faire les frais de la COVID-19. Il faudra réapprendre à socialiser, apprivoiser la proximité des autres et accepter qu’ils nous touchent. Allez-vous réintégrer la poignée de main et les bises dans votre quotidien ? Avons-nous les capacités de résilience nécessaires pour guérir collectivement de ce drame qui est bien plus profond qu’on le pense ?

Traumatisés par le microbe, nous pouvons aussi nous demander si le plastique d’emballage ne reviendra pas en force dans nos épiceries. Est-ce que le transport en commun ne risque pas de perdre en popularité ? Est-ce que le commerce en ligne ne deviendra pas la norme ? Est-ce que l’autonomie alimentaire deviendra enfin une priorité nationale ? Allons-nous repenser cette mondialisation économique de plus en plus sauvage ? Enfin, est-ce que cette inondation sanitaire ne risque malheureusement pas d’amplifier la crise environnementale et écologique, là où elle aurait dû nous inciter fortement à négocier plus rapidement le virage vert dans le gigantesque plan de relance économique que nous fait miroiter le gouvernement Trudeau ?

Si les questions sont nombreuses, bien malin est celui qui peut anticiper les réponses. Chose certaine, un propriétaire visionnaire, c’est aussi celui qui, après une inondation, profite de l’argent des assurances pour faire des rénovations et installer des drains et d'autres aménagements préventifs.

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