Il faut de 6 à 12 ans pour former un médecin, selon sa spécialisation. Nonobstant, le médecin acquerra encore compétence et confiance en cours de pratique. L’expertise médicale vient aussi du nombre : aucun médecin ne possède toutes les aptitudes, mais la variété permet d’offrir la couverture la plus adéquate dans un système public en concordance avec connaissances et ressources.

Ceci est un portrait idyllique. L’organisation médicale n’est pas si adéquatement hiérarchisée pour desservir la population, par manque de structure et de ressources. Oui, le système de santé manque de structure, même si les critiques le qualifient de grosse machine indomptable ! La paucité de structures cohérentes origine des lieux de décision. À l’instar d’autres ministères, la mission du système de santé est modulée par les impératifs politiques plutôt que des besoins établis sur des données vérifiables et compilées.

Certains considèrent que les dirigeants politiques doivent intervenir directement auprès des structures pour gérer leur ministère. À mon avis, cela est contre-productif. Si les dirigeants des institutions de la santé doivent au quotidien agir selon des politiques influencées par les sondages d’opinion et les manchettes, ils délaissent la gestion cohérente qui permet d’assurer l’intégration des actions, voire préparer leur organisation pour les écueils comme des pandémies.

Un Hydro-Québec de la santé

La production d’électricité au Québec est sous la gouverne d’Hydro-Québec. Son modèle d’organisation est relativement indépendant du gouvernement et du politique, bien que le conseil d’administration soit nommé par le gouvernement. Par contre, la mission est claire et définie : produire et fournir une alimentation électrique à tous les foyers québécois. Par une évaluation des besoins planifiée, s’actualisant par un réseau de distribution bien tissé, géré avec compétence, entretenu, en mesure d’assurer son financement ponctuellement et dans la pérennité. Étonnamment, ce modèle ne s’applique pas au système de santé. Hydro-Québec : un modèle québécois de succès. Il faut s’en inspirer pour définir des lieux d’intervention indemnes de teinte politique.

Les dirigeants politiques ne sont pas malveillants, loin de là. Il faut toutefois s’interroger sur leur rôle d’administrateurs publics.

Parce que dans notre système politique, la population élit des représentants locaux qui ont aussi à assumer la charge de ministères. Est-ce que le fait d’être élu investit de compétences au sein de ministères qui dépensent des milliards par année ? Raisonnablement pas, que le gouvernement soit caquiste, libéral, péquiste ou solidaire.

La compétence médicale résulte largement des années multiples pour acquérir le droit de pratiquer, compétence confirmée dans le temps par un ordre professionnel. La science infuse n’existe pas ! De même pour les infirmières, les avocats, les ingénieurs, etc. A contrario, être médecin, avocat ou enseignant n’est pas un prérequis pour devenir ministre en santé, justice ou éducation. La connaissance intéressée d’enjeux ne confère pas les capacités, voire les compétences, pour mener à bien les ministères. Je distingue clairement gestion des ministères de droit et devoir de formuler des orientations et priorités, déposer des projets de lois, superviser les actions des fonctionnaires. Un politicien doit orienter les actions de l’État, mais de là à implanter ses intentions, il y a un gouffre à combler !

Gustave LeBon, médecin, philosophe et anthropologue, a déclaré : la compétence sans autorité est aussi impuissante que l’autorité sans compétence. La crise causée par la pandémie met cela en exergue de façon éclatante.

Nos ministères devraient organiser et prévoir, alors qu’ils passent trop de temps à répondre à des questions politiques, à atteindre des objectifs à courte vue.

Il nous faut des ministres qui génèrent des idées, défendent des budgets, et représentent la population en s’assurant que les fonds investis le soient productivement. Pourquoi ce dernier rôle, historiquement inhérent au mandat de député, a dans le temps, été dévolu de plus en plus au Protecteur du citoyen ?

Pourquoi ne pas favoriser une fonction publique menée par des mandarins de l’État ? Agissant avec compétence et indépendance d’esprit, ils seraient à même d’assurer une continuité malgré le passage des gouvernements et ministres, d’organiser les actions et structures, en mesurer les impacts, sans arrière-pensée politique. Les années passées à connaître le réseau de la santé et y travailler avec les intervenants permettraient d’instaurer une culture de gestion sans peur de la foudre ministérielle.

Dans cet esprit, avec l’émergence de la COVID-19, il aurait été avisé de former un groupe d’experts indépendants, respectés de tous les partis, pour gérer la pandémie, tant dans ses aspects santé qu’économique. Le réel pouvoir, c’est de savoir laisser les personnes les plus compétentes prendre la pôle. Une prévision diligente préalable aurait soulevé les risques associés à la dépendance aux ressources externes en fournitures médicales, médicaments et vaccins. Les dirigeants ont des responsabilités, mais une population qui laisse la gestion de l’État aux aléas des médias et politiciens est aussi responsable.

Les fonctions de ministre et premier ministre sont ingrates. Population et journalistes leur demandent de tout savoir en tout temps et d’agir dans l’immédiat, sans temps pour connaître les faits.

Les élus devraient exercer un leadership plutôt que de s’investir dans le quotidien de ministères. Un tel changement ne pourrait se faire du jour au lendemain. Il demanderait une redéfinition des rôles et responsabilités. Le gouvernement et les évènements exigent que la société se réinvente, il serait bon que charité bien ordonnée commence par soi-même.

On cherche des dirigeants qui agissent en bons pères de famille (écrit sans pensée sexiste). Même les pères font des erreurs et ont leurs limites. Pour autant, on aimera encore son parent. La filiation est moins inconditionnelle pour les dirigeants d’un État, justifiant de laisser des experts présenter enjeux et solutions.

Dans une lettre ouverte à La Presse sur la Journée mondiale du cancer, le président de la Société canadienne du cancer et deux signataires, dont Philippe Couillard, suggéraient que la COVID-19 est une occasion de « construire en mieux » face à l’énorme tâche de prendre soin des personnes atteintes d’un cancer souffrant dans l’attente d’un diagnostic et d'un traitement. Des options validées existent, applicables au Québec, sans réinventer la roue, en cessant d’écouter les seuls instincts politiques.

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