Dans la foulée de la démission de Julie Payette, faut-il s’étonner des sondages qui concluent qu’un nombre grandissant de Canadiens s’interrogent sur le rôle d’une gouverneure générale et, par ricochet, même de leurs liens avec la couronne britannique ? Les circonstances entourant le départ de Mme Payette et la divulgation d’informations concernant les avantages financiers dont elle bénéficiera ont très certainement contribué à ces états d’âme.

Cette polémique demeure toutefois théorique. Le premier ministre Trudeau n’est pas sur le point de convoquer une conférence constitutionnelle avec les provinces (et Westminster) pour discuter du rôle du gouverneur général. Et si une telle réunion se tenait, je parie que d’autres sujets seraient priorisés, dont le sénat, qu’il serait sage de nous épargner collectivement.

Un choix malheureux pour un poste comme celui de gouverneur général ne devrait pas nous précipiter vers d’autres choix malavisés. Devant une feuille blanche, avec le pouvoir de reconstruire la gouvernance du Canada, opterions-nous pour le régime constitutionnel actuel ? Peut-être pas, mais nous ferions une erreur d’éliminer la présence d’un porte-voix dénué de toute ambition politique qui peut incarner les valeurs de notre pays.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Rideau Hall, résidence et lieu de travail du gouverneur général ou de la gouverneure générale du Canada

On peut comprendre les souverainistes de ne pas avoir boudé leur plaisir au moment du départ de Mme Payette. La cible était trop importante, les écarts de conduite allégués, grossiers.

Mais ne soyons pas dupes – si le Québec devenait une nation, des symboles comme la gouverneure générale se multiplieraient.

Nous aurions trois congés fériés additionnels, des défilés patriotiques se tiendraient deux fois l’an sur Grande-Allée (un l’hiver, l’autre l’été) et chaque village au Québec obtiendrait un budget généreux pour faire la promotion de la nation. Rien de moins – et pourquoi pas ? Je suis tout à fait d’accord qu’un pays célèbre ses valeurs et son identité.

Le premier ministre Trudeau a été critiqué, avec raison, pour l’absence de vérification diligente sur la candidature de Mme Payette. Il faut se rappeler que son prédécesseur, David Johnston, a brillamment occupé le poste de gouverneur général. Je ne me rappelle d’aucun sondage à l’époque qui souhaitait que Rideau Hall soit transformée en salle de bingo. Les déplacements de M. Johnston partout au Canada ne constituaient jamais un péril pour ses hôtes ni (surtout) pour ses accompagnateurs. Bilingue, humble, curieux et érudit, M. Johnston s’est acquitté de ses devoirs avec dignité et dans le respect de nos traditions. Et jamais n’aurais-je été inquiet s’il avait eu à traiter avec une crise constitutionnelle.

Alors que nos enfants peuvent nous instruire sur un nouveau programme de justice alternative croate qu’ils ont vu sur Instagram, que savent-ils vraiment sur leur pays ?

Le passeport que les Canadiens exhibent pour entrer dans un autre pays contient des informations essentielles sur son porteur. Mais la couverture avec l’inscription « Canada » envoie aussi un message important. Les Canadiens qui ont voyagé partout sur la planète peuvent témoigner qu’il s’agit d’un sauf-conduit plutôt efficace.

La question identitaire, souvent évoquée dans nos récents débats au Québec, nous rappelle comment les Québécois sont capables de s’exprimer plus aisément sur ce qui les définit que les Canadiens-anglais. Bien sûr que nous avons des désaccords – mais un très large consensus se dégage autour de l’importance de protéger et de promouvoir notre langue et notre culture. Nos concitoyens du reste du Canada partagent une langue avec des centaines de millions de voisins américains et se nourrissent aussi de grands pans de leur culture. Les années Trump leur ont toutefois rappelé les éléments distinctifs de leur nationalité.

Ces valeurs d’humanisme, d’entraide et d’ouverture qui nous unissent ne doivent pas être tenues pour acquises. On doit en faire la promotion constamment auprès de Canadiens de tous les horizons. Certains avanceront que nos élus devraient s’en charger. Possiblement, et c’est par l’entremise du travail parlementaire que ces valeurs parfois rejaillissent. Mais les élus changent, et leurs humeurs aussi.

Le gouverneur général peut aussi jouer ce rôle au Canada. Il se place au-dessus de la mêlée politique et peut s’assurer de favoriser certains sujets qui manquent à l’occasion de lumière objective (les arts, les minorités, les Premières Nations). Il existe de nombreux Canadiens avec des feuilles de route impressionnantes qui n’attendent qu’un appel pour servir leur pays. Ne faisons pas la même erreur deux fois – nommons quelqu’un avec un profil David Johnston et le Canada s’en portera très certainement mieux.

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