L’annonce d’un nouveau transport collectif de l’Est a de quoi réjouir les Montréalais. La population de l’Est, jusqu’à présent mal desservie, a besoin de nouvelles possibilités de déplacement. Un tel projet pourrait devenir l’épine dorsale de la relance du développement d’une vaste zone en transition. Mais le processus de décision et l’absence étonnante de concertation avec les instances régionales de transport collectif soulèvent de sérieuses questions. Le REM est-il la solution pour ce territoire ? On ne peut répondre à la question au vu de la façon dont le projet est ficelé et imposé.

Tout d’abord, en proposant d’emblée une solution technique, le système léger sur rail (SLR), la Caisse de dépôt et placement du Québec (CDPQ Infra) procède à l’envers. Le REM est-il le bon choix technologique ? Le tracé répond-il aux besoins de l’Est ? Le projet s’intègre-t-il bien avec les réseaux existants (métro, SRB, train) ? A-t-on produit les analyses relatives à ces questions ? Comment ce projet s’insère-t-il dans la planification territoriale de la Ville de Montréal et de l’ensemble de la région ?

Toutes ces questions requièrent une planification concertée avec les acteurs publics de l’agglomération. CDPQ Infra devrait coordonner ses projets avec l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM), créée en 2016, qui a justement la mission de planifier les transports en commun pour l’ensemble de la région. Or, le projet de CDPQ Infra a été annoncé au moment même où commençait la consultation publique sur le plan stratégique de développement du transport collectif de l’ARTM, lequel plan n’en fait pas mention.

Le gouvernement veut refaire le même type d’entente avec CDPQ Infra que pour le REM de l’Ouest, sans même se référer à l’ARTM, comme si cette dernière n’existait pas. Il y a là une profonde incohérence. On se retrouve avec deux démarches de planification parallèles qui ne se rencontrent pas.

Le gouvernement semble aussi prêt à aller de l’avant sans qu’on ait pu apprécier la performance du REM de l’Ouest. Mais il est prématuré de vouloir répéter l’expérience dans l’Est sans avoir évalué l’impact de ce premier REM.

Avec ce nouveau SLR, les enjeux sont de taille, car le projet complexifie l’offre de transports en commun. Les approches techniques se multiplient, les tracés se croisent ou se suivent en parallèle, les connexions sont problématiques.

Il ne faudrait pas que les différentes lignes se nuisent, se concurrencent ou se battent entre elles. L’expérience du REM de l’Ouest ne nous rassure pas à cet égard, puisqu’il s’est substitué au train de Deux-Montagnes qui venait d’être rénové et a coupé les ailes au train de l’Est en l’évacuant du tunnel sous le mont Royal.

Mais le REM de l’Est sera également un équipement hautement structurant. Il va induire des changements importants dans l’offre de transport collectif et dans la planification des futurs développements urbains. Il va obliger les acteurs locaux et régionaux à s’ajuster, souvent à fort coût et aux dépens d’autres priorités. Là aussi, il faut éviter les dédoublements, assurer la complémentarité entre les réseaux et les plans de développement et minimiser les dépenses induites.

CDPQ Infra, on le voit bien, mise sur une technologie qu’elle connaît bien, mais elle n’a pas de vision d’ensemble des enjeux. Elle n’a pas la neutralité ni l’expertise requise pour faire des choix qui ont un impact majeur sur la région métropolitaine.

Elle arrive avec un projet ficelé, sans transparence sur sa prise de décision, sans publier ses études. Elle commence par la fin, par le résultat, et elle essaie de nous convaincre que c’est le bon projet. Mais un tel projet aurait dû émerger d’un processus décisionnel transparent et participatif, mené par les organisations publiques responsables de la planification locale, régionale et métropolitaine, des transports collectifs et de l’aménagement du territoire.

Ces organisations (la Communauté métropolitaine de Montréal, les agglomérations de Montréal, de Longueuil et la Ville de Laval, l’ARTM, la Société de transport de Montréal) détiennent les pouvoirs et les outils officiels pour planifier de tels projets, que sont le Plan métropolitain d’aménagement et de développement, le Plan stratégique de développement du transport en commun, les schémas d’aménagement et de développement des agglomérations et des MRC, les plans d’urbanisme. Ces structures et leurs plans sont organiquement articulés les uns aux autres.

Il n’a pas été démontré qu’il y ait une telle urgence qu’il faille court-circuiter ces acteurs et ignorer leurs compétences et leur travail. Il n’a pas non plus été démontré que le projet de REM de l’Est est cohérent avec les plans métropolitains et régionaux et qu’il s’intégrera au nouveau Plan d’urbanisme et de mobilité de la Ville de Montréal.

Alors que l’on s’attend à ce que le gouvernement oblige CDPQ Infra à travailler de concert avec les organismes qu’il a lui-même mandatés pour planifier le devenir de la région métropolitaine, on a plutôt l’impression que nos élus, et en particulier la Ville de Montréal, ont été pris en otage.

Le gouvernement et les élus provinciaux ont le pouvoir d’imposer le projet, mais ils doivent respecter le processus démocratique et les institutions locales et régionales. Ils doivent tenir compte des besoins de la région métropolitaine de manière cohérente, ne pas miner d’autres efforts en cours, consulter les villes et autres instances et utiliser l’expertise disponible.

Certes, il faut améliorer le transport collectif dans l’Est. Mais il faut le faire de manière démocratique et concertée, respectueuse des règles de l’art en planification urbaine.

* Cosignataires : Raphaël Fischler, professeur et doyen de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Michel Gariépy, professeur émérite à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Florence Paulhiac, professeure titulaire à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal ; Jason Prince, professeur à temps partiel à l’École des affaires publiques et communautaires de l’Université Concordia ; Franck Scherrer, professeur titulaire à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de la faculté de l’aménagement de l’Université de Montréal ; Richard Shearmur, professeur et directeur de la McGill School of Urban Planning ; et Sophie L. Van Neste, professeure adjointe à l’Institut national de la recherche scientifique, Centre urbanisation culture société, et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en action climatique urbaine.

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