« … l’amélioration des techniques médicales se payait par un contrôle social accru et une diminution globale de la joie de vivre » – Michel Houellebecq, La possibilité d’une île (2005).

Chez nous, quand on était jeune et qu’on était malade, on aboutissait à l’hôpital de Chicoutimi, le plus gros du Saguenay–Lac-Saint-Jean, dont on était convaincu que c’était la plus belle région du monde, mais ça, c’est une autre histoire…

Encore appelé l’Hôtel-Dieu Saint-Vallier dans les années 1960, l’hôpital de Chicoutimi était efficacement dirigée d’une main de fer par mère Marie-Joseph, une religieuse à laquelle les gens faisaient référence avec admiration, mais également crainte.

Vive les CISSS ! Vive les CIUSSS ! Bienvenue au Kébeckistan !

Aujourd’hui, quand vous appelez à l’hôpital de Chicoutimi, après les mises en garde infantilisantes usuelles, un message enregistré vous répond : « Centre intégré de santé et de services sociaux du Saguenay-Lac Saint-Jean ».

Ici comme ailleurs, on note ces temps-ci une inversion proprement historique des valeurs au plan civilisationnel : à la faveur de la prise de pouvoir par l’idéologie sanitaire, les Québécois apparaissent désormais au service des services de santé plutôt que le contraire, comme c’était le cas au départ, ce phénomène troublant s’appliquant à d’autres systèmes issus de la révolution numérique.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Le premier ministre François Legault sera-t-il capable de s’attaquer au mal québécois ?, demande l’auteur de ce texte.

C’est un moindre mal quand lesdits systèmes sont fonctionnels, ce qui n’est malheureusement pas le cas des services de santé et de services sociaux au Québec.

L’idée n’est pas ici de casser du sucre sur le dos de ceux qui s’échinent sur le terrain, les préposés aux bénéficiaires, les infirmières ou les médecins, ni de rabaisser ces autres travailleurs dont la compétence et la bonne volonté ne sont pas en cause.

Il s’agit simplement de prendre acte du fait que tout ce beau monde œuvre dans des systèmes dysfonctionnels.

Monstres bureaucratiques

La réalité est que la société québécoise issue de la Révolution tranquille a accouché de monstres bureaucratiques hiérarchisés à l’extrême, ingérables à toutes fins utiles parce que toute véritable imputabilité y est impossible.

Personne ne semble jamais responsable de rien dans ces grands vaisseaux à la dérive, dans une société elle-même très déresponsabilisée où le réflexe d’une grande partie de la population est d’en appeler à l’État pour la solution de tous les problèmes.

Le caractère intouchable de certains technocrates du secteur de la santé et des services sociaux s’est récemment manifesté quand le responsable au plan formel du scandale du manoir Liverpool à Lévis, loin d’être sanctionné pour l’inefficacité de la structure qu’il dirigeait, s’est retrouvé au cœur de l’opération de vaccination contre la COVID-19.

Que nous sommes restés français quelque part ! Le système public québécois, qui se veut pourtant essentiellement moderne, rappelle à certains égards la cour de Louis XIV où chaque noble à Versailles tenait comme à la prunelle de ses yeux à ses titres, ses préséances, ses pensions.

La prolifération des sigles hideux et des organigrammes à pentures sont des signes qui ne trompent pas de la déconnexion de nos institutions publiques d’avec le réel, ce qui rend difficile d’avoir prise sur lui.

On avait pensé qu’un bulldozer comme Gaétan Barrette, qui connaissait bien le système et manifestait la volonté d’agir, serait capable de faire une différence, mais il semble avoir empiré la situation. Quant à Martin Coiteux, exceptionnellement efficace au Conseil du Trésor, il s’est retiré de la politique alors qu’on espérait qu’il soit capable de mener une réforme du secteur public et parapublic québécois.

Commission d’enquête

Dans ce contexte, il y a évidemment danger que la commission d’enquête réclamée par plusieurs sur la gestion de la COVID-19 ne s’avère qu’une nouvelle version de ces entités boursouflées, inefficaces et ruineuses. Plane toujours le fantôme de la commission Charbonneau, toute référence à l’UPAC étant devenue un running gag pour le Québécois moyen.

Une autre erreur serait une enquête qui ne mettrait l’accent que sur les aspects techniques du dossier, passant à côté de ce qui dépasse largement le bilan de l’administration Legault.

La société québécoise, dont le pourcentage de citoyens âgés en résidence bat tous les records, est-elle capable de se regarder en face dans ce domaine ? S’il est des cas où un seul décès – on pense à celui de l’Autochtone Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette – est suffisant pour remettre en question des modes de fonctionnement, il en est d’autres où 10 000 morts ne permettent pas de changer les choses.

Alain Peyrefitte, l’ancien ministre du général de Gaulle, se désolait dans Le mal français en 1976 de la multiplication effrénée des normes en France. Quant à lui, François Legault sera-t-il capable de s’attaquer au mal québécois ?

Mère Marie-Joseph, que Maurice Duplessis consultait à l’occasion, recommanderait sans doute au premier ministre de prier, mais aussi de tenir mordicus à des structures qui obligent les différents responsables politiques et administratifs à ne pas l’être que sur papier.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion