Merci Luc Dionne et Aetios pour ces cinq belles saisons ! Je m’étais fait inviter initialement à faire un tour de manège de trois-quatre épisodes la première année… Louis Bourgoin aura finalement vécu des montagnes russes sur près de 50 épisodes ! J’en suis très reconnaissant, d’autant que j’ai eu la chance de côtoyer des gens absolument formidables, qui travaillent à un rythme d’enfer avec beaucoup de talent. Cette équipe magnifique va me manquer… même si je sais que nos chemins finissent souvent par se recroiser dans ce métier. Mais pour l’instant, je vais affronter le vide.

Le scénariste ayant décidé de placer un gun sur la tempe du personnage que j’interprétais, et ayant appuyé sur la gâchette, je me retrouve momentanément sans contrat, sans rôle, sans revenus, en pleine pandémie. Ouch ! Je sais, ça fait partie du boulot. Je constate seulement avec un peu de recul à quel point la mort a été présente dans mon travail récemment et que c’est, en un peu plus d’un an, le troisième personnage de suite que j’interprète qui périt de façon violente : assassiné par un associé dans Victor Lessard, abattu par les forces policières dans Faits divers 3… et maintenant ce Louis Bourgoin acculé dans un coin, mourant de sa propre main dans District 31. Ouch ! Ouch ! Ouch ! Deux au cœur, une à la tête.

Je suis pourtant un mercenaire endurci, un professionnel habitué à être appelé à servir, puis à partir. Parfois même, comme cette fois-ci, sans préavis.

Ça fait plus de 30 ans que ma vie est faite de ça : des contrats à gagner, puis des deuils à faire. Et à chaque fois, se réinventer.

Hé oui… on n’a pas attendu le virus : se réinventer, c’est la base même de notre existence comme artisan, c’est ce qu’on doit faire, plusieurs fois par année, aussi longtemps que possible. Aussi longtemps qu’on tient le coup. C’est notre réalité.

Mais on a le réflexe de vouloir garder la lumière uniquement sur la scène, et de préserver ce qui se passe en coulisse pour nous. Moi le premier. Garder ça léger, léger. En fait, j’ai toujours considéré que la discrétion sur nos états d’âme était une politesse envers les spectateurs… moins on en sait, plus on peut rêver.

Je crois cependant que nous traversons une période où cette pudeur peut être malheureusement méprise pour de la superficialité et de la désinvolture face aux évènements.

La vérité, c’est que ça fait mal.

Évidemment, personne ne m’a mis un fusil sur la tempe pour m’obliger à faire ce métier. J’ai choisi cette vie : je prête ma voix, mon corps, mon cœur et mon esprit — tout ce que je suis — aux personnages que l’on me confie. Je me mets au service d’auteurs et d’autrices et j’essaie de porter leur création le plus loin, le plus haut possible, avec toute l’humilité nécessaire pour qu’on entende bien leurs voix, mais aussi avec suffisamment d’implication pour laisser mes atomes teinter l’humanité de ces hommes qu’on me donne à jouer. Parce que, oui, c’est un jeu. Un jeu intense, qui laisse parfois des traces, mais qui demeure un jeu. C’est une condition essentielle pour pouvoir aller loin dans la création, sans se perdre. Pour pouvoir durer. Et continuer à se réinventer.

C’est un jeu. Mais j’avoue que parfois, ça écorche un peu l’âme quand même. Jouer quelqu’un qui se suicide est éprouvant. Surtout en pleine pandémie. Même si je l’ai déjà fait quelques fois, au cinéma et au théâtre aussi, ce n’est jamais facile de se tremper dans cette eau glacée-là. Parce que la déchéance, pour bien la faire ressentir au public, comme pour toutes autres choses, ça exige de faire le sentier qui y mène, et d’observer les précipices qui surgissent de l’ombre tout en se préservant du vertige. Et même en s’appuyant sur la technique, qui protège et libère l’acteur, le constat est sans appel.

La perte effraie. Surtout en temps troublés.

Être conscient de l’impact

Et à la difficulté de s’approcher du désespoir s’ajoute une responsabilité de ne surtout pas en provoquer davantage. Que la fiction n’influence pas négativement la réalité. Ne pas se censurer, tout en étant conscient de l’impact.

De partager ceci me permet en quelque sorte de l’exorciser, mais aussi de souligner à quel point notre métier a des exigences impitoyables…

Non, bien sûr, on ne sauve pas des vies et on le sait, et ce n’est pas la mine de sel, ni les heures supplémentaires obligatoires d’infirmières odieusement surtaxées, ni les profs aux classes de 30 élèves dont la moitié ont des besoins particuliers, ni les policiers, ni les fermiers, ni les restaurateurs, ni les préposées de CHSLD, ni ni ni…

Ni un foutu long fleuve tranquille. Cette année, la mer est particulièrement déchaînée. Et aux assauts de cette tempête parfaite où notre santé physique, mentale et économique commune est menacée du naufrage, s’ajoute cette vague très laide du mépris de certains de nos concitoyens pour tout ce qui est un « tartisse ».

J’ai tout lu, tout entendu. Et pas seulement de trolls lâches, et anonymes comme il se doit, mais aussi de chroniqueurs bien en vue. « Veux-dettes, Suceurs-de-subventions, C’est-mes-taxes-qui-payent-pour-ça, Collabos-De-Legault… »

La cible est parfaite, l’artiste est devenu le bouc émissaire idéal pour ceux qui ont besoin de se défouler et qui ont toujours entretenu une méfiance insécure envers tout ce qui pourrait être perçu comme différent.

Cette hargne spectaculaire qui déferle est probablement magnifiée par la détresse qui gagne du terrain, mais elle mérite d’être nommée et dénoncée pour ce qu’elle est. De la haine.

Les artistes sont des travailleurs. Autonomes. Avec un peu de chance, nous faisons partie de la classe moyenne, comme un chauffeur d’autobus ou une enseignante. Mais sans filet, sans assurance-emploi, sans généreux régime de rentes de l’État ou de l’employeur. Autonome, comme dans arrange-toi. Réinvente-toi.

Bien qu’il y ait de très rares exceptions qui fassent fortune, ce que certains médias utilisent afin de vendre du fantasme et du papier glacé, pour l’immense majorité d’entre nous c’est une vie oscillant entre précarité et incertitude. La vérité, c’est ça !

Ce n’est pas la première crise de notre histoire, certainement pas la dernière non plus, mais je suis convaincu que la seule façon positive d’y faire face est de s’élever tous ensemble. Sans pour cela grimper sur les épaules des plus faibles autour de soi. Choisir la solidarité et s’élever en groupe. Pour ne pas couler.

C’est ce que je veux faire, et je ne coulerai pas. Je jouerai les partitions qu’on me donnera à jouer, en solidarité avec le groupe d’humains auquel j’appartiens. C’est le métier que je continuerai de choisir, tant que lui me choisira. Parce que j’aime faire partie d’un TOUT, un groupe uni travaillant à la construction d’un pont vers l’autre. C’est vraiment comme ça que je vois notre métier, on aide à fabriquer des ponts entre les êtres, des ponts qui ne sont pas nécessairement utiles à tous, mais qui existent, et par le fait même deviennent essentiels. Pas nécessaires, mais essentiels. C’est toujours mieux que des murs.

Je nous souhaite la grâce de nous retrouver tous ensemble de l’autre côté de cette épreuve, grandis, et avec un réservoir d’empathie les uns pour les autres mieux rempli.

Et j’ai très hâte de continuer de passer avec vous du JE au NOUS. À bientôt.

Consultez le site de l’Association québécoise de prévention du suicide
1 866 APPELLE (1 866 277-3553)

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