La mise au point économique du 30 novembre 2020 dévoilée par la nouvelle ministre des Finances, Chrystia Freeland, donnait des frissons. À lui seul, le déficit budgétaire accumulé sur deux ans de près de 500 milliards de dollars laisse pantois.

Mme Freeland y précise également souhaiter injecter jusqu’à 100 milliards additionnels pour relancer l’économie – sans toutefois fournir de détails. Certains programmes fédéraux mal calibrés depuis le début de la pandémie (pensons à ceux visant les étudiants et les retraités) nous rappellent que des milliards ont été déployés aux mauvais endroits. Pendant ce temps, des secteurs névralgiques pour notre économie, comme celui du transport aérien, attendent encore une confirmation d’aide.

Le gouvernement Trudeau n’inspire pas la plus grande confiance quand il s’agit de mesures économiques. On sait que Bill Morneau, perçu comme un des seuls membres du gouvernement avec un profil économique, avait tenté de modérer les réflexes dépensiers du premier ministre depuis le début de la pandémie.

Mme Freeland, toujours aussi volontaire pour succéder à un collègue, surtout si la marche la rapproche du haut du podium, l’a remplacé en août 2020 et se trouve aujourd’hui à l’épicentre d’un exercice budgétaire périlleux qui approche à grands pas.

En décembre dernier, le premier ministre Trudeau a réussi un coup fumant en recrutant Michael Sabia au poste de sous-ministre au ministère des Finances. M. Sabia avait quitté la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec en février 2020. Pour M. Sabia, il s’agit d’un retour à ses racines, lui qui avait entamé sa carrière au sein de la fonction publique canadienne.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Michael Sabia [au premier plan] a quitté la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec en février 2020.

Il serait injuste de ne pas qualifier son passage à la Caisse de grand succès. Certes, sa nomination en 2009 avait surpris. D’autres candidats avec des compétences plus pointues sur les marchés financiers et la gestion de portefeuille avaient été pressentis. M. Sabia arrivait du CN et de BCE, des entreprises de grande envergure, nul doute, mais dont les principales opérations se trouvaient à des lieues de celles d’une des plus importantes caisses de retraite au monde.

La performance robuste de l’économie durant son séjour à la Caisse n’est pas étrangère aux succès de M. Sabia. Mais sa plus grande contribution aura été celle de hausser le calibre de l’équipe à la Caisse. Il a réussi à recruter des hommes et des femmes de grand talent d’ici et d’ailleurs alors que la Caisse avait encore mauvaise presse. Mieux encore, il a convaincu plusieurs Québécois partis à l’étranger de revenir au bercail pour mettre leur talent au profit de nos épargnes. La Caisse dont il a hérité en 2009 et celle qu’il a léguée à son successeur, Charles Emond, ne pouvaient être plus différentes.

Son mandat à Ottawa, on le devine, sera d’un autre ordre. Le gouvernement qu’il sert maintenant mène dans les sondages, nonobstant des ratés spectaculaires dans l’approvisionnement de vaccins.

La tentation d’aller aux urnes ce printemps pour obtenir un mandat majoritaire risque donc d’être forte dans le camp du premier ministre.

Ce que l’électorat pardonne aujourd’hui sera perçu fort différemment à l’automne si plusieurs pays industrialisés ont vacciné la majorité de leurs citoyens et que le Canada tire toujours de l’arrière.

Alors que M. Sabia et Mme Freeland se lancent dans la préparation du budget fédéral, on espère qu’ils ne s’inspireront pas du programme d’aide financière que le Congrès aux États-Unis vient d’approuver. Les sommes qu’injectera le gouvernement de Joe Biden dans l’économie (1,9 billion de dollars) ressemblent à celles que le président Trump avait approuvées en mars 2020 au tout début de la pandémie. Les démocrates ont donc préféré doubler la mise et du même coup ignorer que le secteur privé servirait de levier important dans la deuxième moitié de 2021 au moment où une forte croissance économique est attendue. Cela nous rappelle l’importance d’avoir des politiciens qui ne cherchent pas continuellement à plaire à des groupes de pression et qui ne font pas preuve de nonchalance dans l’utilisation des deniers publics.

La nomination de Michael Sabia est tout sauf banale. Il existait dans la haute fonction publique une longue liste de candidats capables d’occuper le poste de sous-ministre des Finances. En choisissant M. Sabia, le premier ministre a-t-il recruté un timonier pour le guider dans le brouillard pandémique ou, plutôt, quelqu’un du secteur privé disposé à cautionner une avalanche de dépenses électorales ? Beaucoup de Canadiens souhaiteront que M. Sabia soit l’adulte dans la pièce.

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