Fin décembre 2020, jour 282 de la pandémie : je suis de garde aux urgences et c’est un déluge de patients atteints de la COVID-19. Un grand-père qui n’aura pas vu ses petits-enfants en 2020 et ne les reverra peut-être plus jamais, une femme ayant récemment reçu un diagnostic de cancer sous chimiothérapie, une personne vivant en itinérance infectée dans un refuge, une autre en psychose qui devra être enfermée, entourée de membres du personnel habillés en astronautes…

Comme prestataires de soins de santé, on côtoie souvent la souffrance et la mort, on pourrait dire qu’on « a l’habitude ». Mais le poids des pertes en vies humaines dues à la pandémie est insoutenable : une personne sur 1000 au Québec est décédée de la COVID-19 cette année. Difficile de s’habituer à ça. Difficile aussi d’accepter que ces morts auraient pu – auraient dû – être évitées.

À l’aube d’une nouvelle année qui commence, quelles leçons tirer de la pandémie ?

De prime abord, quelques constats évidents. Un système de santé en carence chronique de personnel soignant et de ressources n’est pas soutenable. La première ligne (les ressources en CLSC, les soins à domicile, etc.) et, bien sûr, la santé publique sont essentielles. La prévention, le traçage et la quarantaine sont plus efficaces que les lits d’hôpitaux. Les personnes qui travaillent dans les abattoirs, les usines de transformation alimentaire, les fermes, le transport, les soins de santé, les garderies, les écoles – beaucoup de femmes, de personnes migrantes, notamment à statut précaire – sont essentielles et doivent bénéficier de conditions de travail sécuritaires et dignes, d’avantages sociaux et d’une rémunération adéquate.

Le modèle d’institutionnalisation, arrimé à une logique carcérale qui consiste à entasser les corps indésirables dans des lieux à part – les hôpitaux, les CHSLD, les centres jeunesse, les refuges, les prisons – mérite d’être remis en question.

Plus en amont, on constate l’importance des déterminants sociaux de la santé et des conditions de vie. L’accès à un logement de qualité, à des conditions sanitaires adéquates – faut-il rappeler que certaines communautés autochtones n’ont toujours pas accès à de l’eau potable en 2021 ? –, à des compensations financières en cas de maladie ou de perte d’emploi, à la sécurité dans nos établissements – pensons à Joyce Echaquan – ont un impact majeur sur la santé.

Remettre en question le statu quo

Les pandémies sont tout autant des phénomènes sanitaires que sociaux. Elles exacerbent les vulnérabilités structurelles et, ce faisant, permettent une remise en question du statu quo. La pandémie d’influenza de 1918 a amené avec ses tragédies des changements politiques et sociaux majeurs au Canada comme ailleurs : la galvanisation du mouvement ouvrier, la création du « département de santé » – devenu Santé Canada et ayant constitué un élément important dans la création du système de santé universel quelques décennies plus tard.

De la même façon, la pandémie de COVID-19 a mis en relief les inégalités existantes dans notre société, affectant principalement les personnes marginalisées, rendues invisibles ou déshumanisées – personnes âgées ou en situation de handicap dans les CHSLD, celles incarcérées dans des prisons ou qui doivent utiliser les refuges ; celles vivant dans des régions où la surpopulation et le manque d’accès aux ressources sont normalisés – comme plusieurs communautés autochtones. Ses effets sont modulés par le lieu de résidence, l’origine ethnique, le genre, la classe sociale. On est plus à risque d’être infecté par le SARS-Cov-2 à Parc-Extension qu’à Outremont, les quartiers où les communautés noires résident à Toronto sont plus sévèrement affectés que les autres, les femmes ont dû absorber la part plus importante des tâches dites domestiques, les enfants des familles plus pauvres auront plus de difficulté à rattraper le retard scolaire accumulé. Sans parler des impacts à l’échelle mondiale, où la course aux équipements et maintenant aux vaccins creuse le fossé d’un apartheid global.

Certaines mesures importantes ont été adoptées dans le contexte de la pandémie de COVID-19 : la Prestation canadienne d’urgence (PCU), les sursis d’éviction de logements, la remise en liberté de personnes incarcérées, les projets de régularisation de personnes sans statut, l’ouverture de chambres d’hôtel pour héberger des personnes en situation itinérance, la collaboration internationale en recherche scientifique, les plans d’action sur les changements climatiques (qui sont intrinsèquement liés aux pandémies), etc. Ces interventions constituent autant de « réformes » à petite échelle qui jettent les jalons de nouvelles politiques aussi nécessaires que réalisables.

Cette pandémie, comme celle de 1918, nous force à « voir nos faiblesses à travers les larmes et la peine »*, nous mettant face aux failles des systèmes que nous avons construits. Elle nous montre tout autant comment les réparer. La décision de le faire nous revient collectivement.**

* L’auteure est membre du collectif Soignons la justice sociale. Elle tient à remercier Samir Shaheen-Hussain pour sa contribution à ce texte.

** The Last Plague : Spanish Influenza and the Politics of Public Health in Canada, Mark Osborne Humphries

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