Au début de ma carrière, je fus témoin d’un échange entre un intervenant d’expérience et deux jeunes stagiaires. Celui-ci s’intéressait au vécu de stage de celles-là. Elles mentionnaient apprendre beaucoup de leur implication terrain dans un milieu d’hébergement pour jeunes sans-abri tout en soulignant qu’elles trouvaient difficile, bien souvent, de ne pas savoir quoi faire pour soulager la souffrance des personnes qu’elles souhaitaient aider ; qu’elles étaient impatientes d’acquérir plus d’expérience.

L’intervenant qui agissait comme superviseur clinique dans l’organisme fit la remarque que l’expérience ajoute des points de repères, mais que souvent également on ne sait pas plus quoi faire ; par contre, on arrive à tolérer plus longtemps de rester face à la souffrance tout en ne sachant pas.

Lorsqu’on aborde le sujet des maladies mentales dans l’actualité, il est la plupart du temps question de la croissance des diagnostics, de l’augmentation de la prise de médication, du manque de ressources ; du fait qu’elles touchent de plus en plus de jeunes adultes, d’adolescents, d’enfants. Face au phénomène, chercheurs et intervenants s’appliquent à définir les molécules les plus efficaces, les programmes d’intervention les plus appropriés, les meilleures pratiques ; tous des enjeux infiniment importants. Il y a tant de choses à faire, à chercher, à trouver. Nos politiciens sont interpellés pour trouver des solutions, le système de santé sollicité pour être plus efficient. Et si, des fois, on cessait toute activité pour juste être là, sans rien exiger ou chercher ; ne pas savoir.

Dans le cadre de mon travail, je rencontre des êtres souffrants qui cherchent à comprendre pourquoi ça leur arrive à eux, qui tentent de donner un sens à une vie qu’ils voudraient différente.

Je tente de bien recevoir ce qu’ils partagent avec moi, je m’intéresse à l’individu qui est devant moi. Et j’observe le monde dans lequel lui et moi vivons, sa course effrénée à la recherche de je ne sais trop quoi. Une course qui essouffle, use, crée une infinité de problèmes qu’il faut bien tenter de réparer par la suite. Il m’arrive de penser que l’humain aime se créer des problèmes pour pouvoir les réparer par la suite. Il m’arrive de penser que l’humain voit le monde qui l’entoure comme une machine défaillante qu’il faut améliorer. Faut donner un coup de pouce aux plantes pour qu’elles poussent plus vite ; booster les animaux de ferme pour qu’ils grandissent plus vite ; stimuler les enfants pour qu’ils apprennent plus vite et connaissent plus de choses pour s’insérer dans un monde qui va de plus en plus vite. Il y a vraiment de quoi être épuisé, puis tomber malade et reprendre la course pour réparer ce qui a été brisé. Et si, des fois, on cessait toute activité, juste être là, sans rien exiger ou chercher, ne pas savoir.

Pauvres de liens

Dans le cadre de mon travail, je rencontre des êtres souffrants, seuls. Comme disait une ancienne collègue, avant d’être pauvres d’argent, ils sont souvent pauvres de liens. Ils n’attendent pas de moi des solutions rapides, ils ont avant tout besoin d’un être humain qui les écoute sans chercher à les réparer comme s’ils étaient brisés. Et j’observe le monde qui nous entoure, eux et moi, un monde qui ne s’écoute pas, trop occupé à faire du bruit, à faire produire la machine qu’il faut bien faire rouler jour et nuit. Essoufflé, on arrive quand même à trouver un peu de temps pour chercher comment aller mieux en lisant : « Être un gagnant, ça s’apprend », « Votre pensée crée votre réalité », « Je réussis ma vie : 10 étapes vers le bonheur ». Il m’arrive de penser que pour l’être humain, c’est être humain le problème. Tout se calcule en pertes ou gains pour le PIB, du temps passé dans des embouteillages, aux congés de maternité, à la dépression et l’anxiété. Tant de choses à régler, faut bien trouver des solutions.

Et si, des fois, on cessait toute activité, juste être là, sans rien exiger ou chercher ; ne pas savoir.

Dans le cadre de mon travail, je rencontre des êtres souffrants. C’est terrible la souffrance et je n’ai rien à leur proposer pour l’apaiser. Je suis juste là, un témoin d’une autre vie que la mienne. Souvent, je ne sais pas quoi faire, mais parce que je possède un peu plus d’expérience, j’arrive à tolérer plus longtemps de rester là en ne le sachant pas.

Et si, des fois, on cessait toute activité, juste être là, sans rien exiger ou chercher ; ne pas savoir… peut-être nous porterions-nous mieux ; moi, vous, le monde.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion