La belle victoire de Joe Biden ne manquera pas d’être très bien reçue dans le monde. Plusieurs laisseront transparaître leur joie de voir Donald Trump mordre la poussière après avoir eux-mêmes subi pendant quatre ans outrages et humiliations de la part de l’actuel (bientôt ancien) locataire de la Maison-Blanche.

Seront-ils mieux servis avec le nouveau président ? À 77 ans, Joe Biden est de cette génération pour qui le multilatéralisme est un des piliers de la politique étrangère américaine. En mars dernier, il a fait paraître dans Foreign Affairs, la revue de l’establishment intéressé aux affaires internationales, ses réflexions en la matière.

Il y décrit les orientations d’une future administration démocrate. Il y a de bonnes, mais aussi une mauvaise nouvelle dans ce texte où le conformisme des positions l’emporte sur la créativité et l’audace dont il faudrait pourtant faire preuve à un moment où les rivalités entre grandes puissances et les effets de la pandémie recomposent le paysage mondial.

Sur certaines questions, Biden va restaurer le statu quo existant avant l’élection de Trump en 2016. Et il a raison. Il a promis de rétablir la signature des États-Unis au bas de l’accord de Paris sur les changements climatiques et de celui sur le nucléaire iranien, deux succès diplomatiques à mettre au crédit de Barack Obama. Il va aussi renouer avec l’Organisation mondiale de la santé, dont tous les pays reconnaissent l’excellent travail contre les maladies infectieuses dans le monde. Tout indique qu’il va annuler les mesures vexatoires adoptées par le département d’État contre certains membres du personnel de la Cour pénale internationale, dont des Canadiens. Ils sont accusés de vouloir faire leur travail, c’est-à-dire d’enquêter sur les crimes de guerre en Afghanistan commis par toutes les parties durant le conflit.

Renouer avec les aspects les plus séduisants de la politique étrangère américaine sera donc la partie la plus facile des premiers jours de son administration. Le reste promet de petites et de grandes difficultés.

C’est que Donald Trump laisse tout un héritage dont les conséquences ont été de creuser les lignes de fractures entre les États-Unis et le reste du monde et, dès lors, de placer le pays en opposition avec l’objectif de Biden et de ses conseillers. En effet, le titre du texte de Biden dans Foreign Affairs est à lui seul tout un programme : « Why America Must Lead Again » (Pourquoi les États-Unis sont prêts à diriger à nouveau). Le texte de Biden et ceux de certains de ses conseillers – dont plusieurs sont des anciens de l’administration Obama – publiés dans la même revue sonnent comme un vieux disque usé. Le leadership américain n’est plus la saveur du jour, du moins pour une bonne partie de l’humanité, et cette propension des démocrates à vouloir enrégimenter le reste du monde sous le drapeau étoilé ne correspond plus à l’état de la société internationale.

Pas de retour en arrière

Trump a bousculé trop d’alliés, trop d’ego et a contourné trop d’alliances pour qu’il soit possible de retourner en arrière, pour que les démocrates engagent le reset et disent « on efface tout et on recommence ». Toutefois, il faut se rappeler que les malentendus entre les États-Unis et le reste du monde ont des sources plus profondes que les foucades de son président sortant. La fin de la guerre froide a marqué le premier ébranlement de l’ordre international libéral instauré par les États-Unis au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La guerre américano-britannique contre l’Irak en 2003 a été la deuxième secousse dont trop de commentateurs et d’analystes semblent ignorer les effets délétères sur la société internationale.

À cette occasion, la superpuissance a violé toutes les règles internationales sans en subir la moindre conséquence. Le message était donc envoyé à tous les Poutine, Erdoğan et Mohammed ben Salmane de ce monde qu’ils pouvaient, eux aussi, agir en toute impunité : attaquer la Géorgie et l’Ukraine, s’ingérer en Syrie ou kidnapper un premier ministre libanais. Quelle ne fut pas leur surprise de constater la colère des Occidentaux, ces donneurs de leçons qui usent et abusent de l’application des règles contre les autres, mais qui n’en sont jamais l’objet pour leurs propres méfaits !

Après quatre années de régime Trump, l’ordre international libéral n’est pas en miettes. Il a du plomb dans l’aile et il faudra plus que les bons sentiments de Biden pour le restaurer ou l’adapter.

Et c’est ici où le texte du président désigné est une mauvaise nouvelle. Biden se montre en effet incapable d’appréhender les mouvements profonds qui travaillent la société internationale depuis au moins 20 ans et répète ad nauseam que la seule façon de mettre un peu d’ordre dans les relations internationales exige des États-Unis d’exercer l’hégémonie et de montrer la voie.

Ce temps est révolu. L’émergence de la Chine comme autre superpuissance transforme le paysage. Elle placera le nouveau président face à un défi auquel Trump a cru pouvoir se soustraire en prétendant maintenir à flot le statut unique des États-Unis dans le monde, celui du caractère de plus en plus multipolaire de la société internationale.

Biden devra naviguer dans un monde fragmenté où de nombreux États, dont des alliés de moins en moins alignés, chercheront à prendre leurs distances de la Chine comme des États-Unis. Ce monde va se révéler plus imprévisible que celui qui est en train de disparaître et il faudra une bonne dose de multilatéralisme pour le remettre sur les rails de la coopération.

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