Je suis au jour 5 d’une désintoxication de nouvelles américaines et ça va beaucoup mieux. À partir de ce matin, je fais une coupure totale, je mets mon téléphone à off et je désactive le WiFi de tous mes appareils jusqu’à jeudi, alors que je me connecterai afin de prendre connaissance du résultat des élections avec plus de calme et de recul. Cette abstinence médiatique me fait le plus grand bien, car comme plusieurs, je souffre d’une surdose d’informations concernant Donald Trump et les élections américaines. Cette surinformation génère depuis quelques semaines une grande anxiété inutile. Et évitable.

Tous les jours, entre deux séances de travail, je visitais en boucle les sites du New York Times, du Washington Post, de Politico, The Hill, The Huffington Post, The Guardian, MSNBC, The Daily Beast, en finissant par le Drudge Report, l’agrégateur d’information de droite (anti-Trump depuis la tentative de destitution des démocrates), qui pouvait m’envoyer sur une vingtaine d’autres sites, selon les journées.

À l’affût du dernier sondage, des dernières statistiques, des derniers éditoriaux, des dernières frasques de Trump, son dernier tweet, les réactions à son tweet, puis le tweet de Trump en réaction aux réactions à son premier tweet. À la fois obsédé et terrifié, je finis par lire chaque nouvelle une vingtaine de fois sur une vingtaine de sites.

Et là, j’ai atteint une limite ; étant hyper sensibilisé, le suspense me tue. Si Trump est réélu, c’est nous tous qui sommes en danger, c’est le racisme qui gagne, le développement sauvage qui continue, les droits des femmes, des gais, des minorités qui s’effritent, les alliances internationales qui s’effondrent. La planète entière qui risque de brûler.

Conscient de ces enjeux, regarder en direct les résultats de ces élections, c’est comme assister à une finale de l’équipe québécoise de patinage de vitesse qui durerait deux jours sans interruption, craignant à tout moment une chute.

Deux jours si on est chanceux.

Rien pour me rassurer

Je sais qu’il y a une réelle chance d’assister à une vague démocrate, et d’être témoins d’une victoire écrasante de Biden. Tous les indicateurs vont dans ce sens, mais en même temps, je suis bombardé d’articles qui me montrent Trump semer le doute quant à la légitimité de ces élections, tout en supprimant ouvertement le plus de votes possible et en se préparant à contester de façon légale une défaite serrée. Il y a les Russes qui vont réessayer d’infiltrer les machines de vote électroniques, après que le Sénat républicain eut refusé d’approuver l’ajout des preuves papier des votes électroniques. J’ajoute à ça la nouvelle juge de la Cour suprême, Amy Coney Barrett, nommée par Trump à huit jours des élections, et qui pourrait être celle qui décide si certains États continuent à compter les votes après aujourd’hui.

La dernière nouvelle qui me terrifie est que plusieurs syndicats de policiers américains appuient Trump ouvertement, et il y a de plus en plus d’incidents d’intimidation dans les lieux de vote de la part de policiers en uniforme. Plus je lis, plus je tombe sur des raisons d’angoisser, mais dans tout ce que lis, ce qui me terrifie le plus n’est pas Trump, mais les supporteurs de Trump, car eux, peu importe les résultats, ils sont là pour de bon et ils représentent plus de 40 % de la population américaine. L’après-Trump sera trumpien, gracieuseté de 50 ans de désinformation de la part d’une longue lignée de dirigeants républicains dont certains regardent ce qu’ils ont créé avec horreur.

Je me questionne sur la raison de cette fascination envers la politique américaine qui perdure depuis des années, car je ne vis pas cette angoisse face aux résultats des élections canadiennes et québécoises. Oui, j’ai été horrifié par le musellement des scientifiques par le gouvernement Harper et par les coupes dans les services sociaux du duo-choc Couillard/Barrette qui ont diminué le déficit budgétaire avec un spectaculaire déficit d’empathie. J’étais outré, mais jamais autant anxieux.

Pour la planète, les actualités américaines sont comme un accident de voiture en direct qui ne finit pas, qui fait des tonneaux 365 jours par année depuis des décennies, et on ne peut détourner le regard.

Même si je lutte contre les effets sur moi de la surinformation, je suis convaincu qu’un accès pour tous à une information de qualité sera notre seule façon d’avancer collectivement.

À partir du moment où trop de gens ne croient plus en rien, c’est le début de la fin, car il y a recul. La méfiance envers la science par une minorité quand même nombreuse n’annonce rien de bon.

Le paradoxe, c’est qu’alors qu’une partie de la population planétaire souffre comme moi d’anxiété en étant trop informée sur la politique américaine, le Trump voter typique, lui, est sous-informé. Tout en étant fier de son absence de curiosité. Il ne sait pas que son idole a qualifié les soldats morts au combat de crétins et de perdants (sucker and losers), il ignore que Trump a fait faillite six fois, que le rapport Mueller évoque plus de 100 contacts entre des associés de la campagne électorale de Trump et des individus liés au gouvernement russe, que Trump doit 400 millions à des créditeurs et possède un compte bancaire secret en Chine. Sous-informé, le Trump voter répète la multitude de mensonges de son politicien favori, car c’est tout ce qui se retrouve sur son fil Facebook et dans les seuls médias qu’il fréquente : Fox News et les stations du Sinclair Broadcast News qui se spécialisent dans la désinformation et possèdent la rigueur journalistique de la télévision d’État chinoise.

J’aspire à un rapport moins compulsif aux nouvelles tout en prônant un accès plus grand à l’information.

D’après un sondage, la moitié des Américains disent que la journée d’aujourd’hui sera la plus stressante de leur vie. Étrangement, de ma province plutôt calme et progressiste, je les comprends. C’est pourquoi j’ai décidé de faire une pause, de laisser passer la folie de l’incertitude des 48 prochaines heures et de prendre connaissance jeudi matin de la réalité avec une tête plus froide et un calme bienvenu.

On se parle dans deux jours. En attendant, je vais lire un livre.

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