Bidenomie, n. f. Mot-valise formé par la contraction des mots Biden et économie.

Il est opportun d’introduire ce néologisme pour explorer ce que le candidat démocrate à la présidence des États-Unis compte faire de l’économie de notre puissant voisin. La Bidenomics est d’ailleurs le dernier terme à la mode dans les médias de langue anglaise pour désigner son programme économique.

Deux mises en garde s’imposent avant de plonger dans le sujet. Premièrement, le président propose, mais le Congrès dispose en matières législative et budgétaire, prescrit la Constitution américaine. Si le Sénat ne tombe pas aux mains des démocrates, on peut parier que plusieurs ambitions de la Bidenomie s’échoueront sur les récifs républicains.

Deuxièmement, les programmes gouvernementaux s’ajustent à la conjoncture, et non l’inverse. La Bidenomie sera accaparée par l’immense défi de la COVID-19 et par la crise économique qu’elle a causée, ce qui limite ses options.

Le combat contre la pandémie sera d’ailleurs la première priorité d’une probable administration Biden. Conjointement avec la promesse d’un Recovery Act injectant une forte dose de stimulus budgétaire dans une reprise à bout de souffle, s’il n’y a pas eu d’entente d’ici là entre démocrates et républicains, ou si elle s’avère insuffisante.

Le Congrès a rapidement approuvé 2 billions de dollars américains (1 billion = 1000 milliards) en mesures d’aide au début de la pandémie, lorsque les républicains paniquaient devant la chute boursière. Ceux-ci affichent un souci hypocrite pour le déficit, maintenant que la cagnotte est vide et que la victoire semble promise aux démocrates.

Pourtant, l’économie américaine a grandement besoin d’une seconde injection, insiste le président de la Fed, Jerome Powell. L’économie canadienne ne peut qu’en bénéficier, peut-on ajouter.

La plateforme Biden

Le premier bouquet de mesures budgétaires de l’administration Biden pourrait se chiffrer entre 2 et 3 billions de dollars américains sur 10 ans, consacrés aux infrastructures, aux PME, à une bonification de l’assurance emploi ainsi qu’aux États et villes exsangues. En comparaison, la grande baisse d’impôt du président Trump, en 2017, a réduit de 2 billions sur 10 ans les revenus du Trésor.

D’après Moody’s Analytics, la plateforme Biden coûterait au total 7,9 billions, toujours sur 10 ans, financée pour la moitié en hausses d’impôt. L’autre moitié étant empruntée, la dette passerait ainsi de 100 % à 130 % du PIB.

Dans un scénario où les démocrates contrôlent les deux chambres, la Bidenomie résulterait quatre ans plus tard sur un gain de sept millions d’emplois et sur un PIB de 4,5 % supérieur à la poursuite des politiques de Trump, selon Moody’s. Goldman Sachs arrive à un résultat semblable de 3,7 %.

Plus de la moitié des revenus additionnels proviendrait des sociétés qui verraient leur taux d’imposition maximal passer de 21 % à 28 %, renversant en partie la baisse de 35 % à 21 % de Trump. Biden promet également d’effacer la baisse d’impôt obtenue par les contribuables aux revenus supérieurs à 400 000 $ US, mais ne toucherait pas à celle accordée aux personnes gagnant moins.

La part du lion des nouvelles dépenses irait à reconstruire des infrastructures décrépites, comme le réseau électrique. Résolu à réintégrer l’Accord de Paris, Biden vise une économie mue par une énergie propre à 100 % et atteindre la cible zéro émission d’ici 2050, mais sans imposer de taxe sur le carbone.

Voilà qui pourrait créer une plus grande ouverture aux exportations d’Hydro-Québec. Par contre, le candidat démocrate a promis de tuer le projet de pipeline Keystone XL, sur lequel compte l’Alberta pour exporter davantage de pétrole.

Avant que Trump ne kidnappe leur parti, les républicains étaient libre-échangistes et les démocrates, plutôt protectionnistes. Biden est personnellement libre-échangiste, mais il chante le Buy America Act sur toutes les tribunes et lui aussi veut rapatrier l’activité manufacturière.

On peut espérer du prochain président des manières policées, mais certes pas la fin des escarmouches commerciales, comme le sempiternel litige du bois d’œuvre. Le nationalisme économique américain est bien enraciné.

Déviation vers la gauche

La fracture principale restera sino-américaine, mais Biden s’efforcera plus que l’administration actuelle de rallier les pays amis à sa cause. Renoncera-t-il à extrader Meng Wanzhou, la chef des finances de Huawei, détenue à Vancouver ? Je n’en sais rien, mais le gouvernement américain insistera encore pour que le Canada renonce à l’équipement 5G du fabricant chinois.

Même si Trump caricature son rival en socialiste, Biden est foncièrement un politicien pragmatique, habituellement au centre de l’échiquier politique américain, ouvert au compromis avec les républicains modérés, mais légèrement dévié sur la gauche par un Parti démocrate radicalisé.

Dans ses discours, il dénonce une crise en forme de « K », où la ligne oblique vers le haut symbolise l’enrichissement des plus riches, et la ligne vers le bas, l’appauvrissement des plus pauvres. De fait, la baisse d’impôt de Trump et la pandémie ont fortement aggravé les inégalités sociales aux États-Unis.

Les gagne-petit, s’ils n’ont pas perdu leur travail, occupent les emplois les plus exposés au coronavirus, tandis que les plus fortunés sont en télétravail. Le taux d’hospitalisation des Noirs et des Latinos est presque cinq fois plus élevé que celui des Blancs. Pas surprenant que la survie de l’Obamacare soit au cœur de la campagne.

Le balancier politique arrive bientôt à la fin de sa course folle vers la droite. Pour l’instant, la Bourse américaine prend la chose sans broncher, toujours soûlée par les bas taux d’intérêt.

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