Il y a un peu plus de dix jours, les élèves de l’École d’éducation internationale de McMasterville, à l’instar d’autres élèves de plusieurs écoles de la Rive-Sud, posaient un geste important. On en a parlé aux nouvelles, sur les réseaux comme au téléjournal et, dans mon livre à moi, l’affaire fait du bruit.

Des garçons portant la jupe attirent forcément l’attention. Mais ce qui se serait au mieux inscrit comme une farce halloweenesque durant mon secondaire a un tout autre sens pour les élèves à l’origine de ce mouvement ; porter la jupe pour manifester contre les principes intrinsèquement sexistes des codes vestimentaires, l’entretien d’une culture de masculinité toxique et, par la bande, l’en-soi genré de l’uniforme scolaire. Vaste programme !

S’il fallait me positionner d’entrée de jeu sur le sujet du genre, je dirais que j’ai passé mon enfance, mon adolescence, ma vie, bref, à m’identifier simplement comme homme gai. Enfant, j’aimais embrasser les filles et sortir avec elles, mais là s’est arrêtée ma reconnaissance. Mon coming-out, à 16 ans, est la seule transition en règle que j’aie effectuée d’un opposé à l’autre du spectre identitaire.

Aujourd’hui, pourtant, les nuances sur le sujet sont autrement plus abondantes, et bien que je n’aie que 31 ans, la pléthore de notions disponibles sur la sexualité ou le genre ne me rajeunit pas. Je m’y suis perdu, il y a deux-trois ans, aussi aisément qu’un homme capable de dire « Y a-t-il un mot pour me décrire si je suis amoureux de mon chien ? ». Mais je ne me détermine pas à travers les libertés des autres, qui ne me menacent ou briment en rien. J’invoque en ce sens une sorte de « vivre et laisser vivre » aussi rétro qu’il est indémodable, et me réjouis de l’ouverture d’une génération que je sens plus décomplexée, moins oppressée, moins masculiniste.

Parce qu’en 2001, à mon ancien pensionnat, un garçon portant la jupe aurait été renvoyé d’office au dortoir – et s’il avait fallu qu’il plaide en plus l’abolition du sexisme dans le code vestimentaire, on l’aurait catapulté à l’infirmerie sur-le-champ. En fait, il arrivait qu’on se déguise en fille à l’Halloween, et dans cet esprit-là, les garçons se voyaient octroyer toutes les licences ou presque. Ils fanfaronnaient dans les couloirs, multipliant les pas de bourrée tout en piochant dans l’ombre à paupières des filles qui gloussaient en les trouvant fous.

Je voyais quant à moi cette parade d’un autre œil ; jamais je n’aurais osé me déguiser en fille, trop au fait de mes propres allégeances. Pourtant, les jeunes hommes de ma classe, eux, n’y voyaient aucune remise en question de la sexualité qu’ils investissaient déjà ni d’un sexe qu’ils personnifiaient sans gêne – c’était après tout l’affaire d’un jour ! Peut-être même, à la récréation, se glisseraient-ils dans les toilettes des filles se rincer l’œil en bon caméléon !

Les choses ont depuis changé ; de jeunes hommes portent la jupe non plus par moquerie, mais par solidarité, disent-ils, pour les filles de leur classe. Ils le font au nom d’une cause, et non d’une fête costumée.

Ce type d’initiative atterrira sur bien des lèvres de jeunes de leur âge en bon vieux « C’est gai ! », mais soit ! Dans leur monde immédiat, la révolution dont rêvaient ces garçons – et les filles qui les ont inspirés – est accueillie triomphalement. Dit-on.

Confronter l’obsolescence du code vestimentaire

Pour la petite histoire, Thomas Ducret-Hillman, de l’EII de McMasterville, m’a confié avoir été témoin, lors d’un cours d’éducation physique récent, d’un incident particulier – du moins pour qui n’est pas familier des mœurs estudiantines ; la professeure d’éducation physique aurait retourné des filles dont les T-shirts trop courts laissaient entrevoir « de la peau ». Les garçons, en guise de protestation, ont noué leur chandail pour afficher une tenue plus révélatrice. Mais l’éducatrice ne s’en est pas formalisée.

Eux, si.

Une conversation sur les réseaux a ensuite inspiré les élèves, pour qui ces tribulations sont pain quotidien. De cet échange enflammé, l’idée du port de la jupe s’est imposée comme un geste fort pour confronter l’obsolescence du code vestimentaire.

Si je remonte à mes propres années au secondaire, la longueur de la jupe a de tout temps été le combat des filles – et l’emblème sacro-saint de n’importe quel établissement se targuant d’offrir une éducation supérieure. « Madame, nous ne laisserons pas votre fille avoir l’air d’une catin ! » Voilà ce qu’on aurait dû coudre sous l’ourlet de cette foutue jupe – 10 cm au-dessus du genou, pas un millimètre de plus !

Et pourtant, depuis, on en a fait du millage sur le corps des femmes. Il paraît loin, le temps où les paroles outrancières d’une rappeuse en string faisaient scandale. Bien qu’on imagine sans difficulté les gardiens de la bien-pensance haranguer ces provocatrices, les accusant de faire reculer la cause féministe, on parle davantage, aujourd’hui, de la réappropriation de leur corps qu’exercent ces femmes en s’affichant sans pudeur, dans un naturisme qui n’est problématique, disons-le, que pour les hommes qui les regardent. Il est loin, ce temps-là, donc…

Mais non. Il n’y a qu’à examiner les réactions de certaines écoles secondaires face au port de la jupe pour voir qu’au fond, on ne peut faire un pas en avant sans en faire deux en arrière.

Du dire de Ducret-Hillman, le mouvement rencontre autant d’approbation que de résistance. Si 7 garçons sur 10 se prêtent au port de la jupe à son école, les élèves se frottent à l’intégrisme de certains surveillants. Au retour de la pause-dîner, une responsable récoltait les agendas des filles pour y inscrire des manquements. Leur jupe était trop courte. De leur côté, les garçons – leurs jupes de la même longueur ! – se tiraient d’affaire sans sanction.

Mais le cheval de bataille de ces jeunes n’est-il pas justement de « décriminaliser » la longueur de la jupe, qui ne fait qu’accentuer l’écart entre garçons et filles ? Qui objectifie ces dernières sous prétexte que leurs jambes représentent une distraction ? On ne penserait pas dire à un garçon portant un short trop court, en éducation physique, qu’il affole les filles. Ou que ses biceps représentent une distraction.

Et si l’on pouvait jusqu’à ce jour dire qu’on ne peut projeter sur les garçons les mêmes restrictions que l’on impose aux filles du fait qu’ils ne portent pas la jupe, eh bien ! c’est chose du passé. On sait qu’ils échapperaient aux admonitions. Mais quel message envoie-t-on à ces jeunes-là ? Qu’un homme souhaitant être sexy ne peut être objectifié, et qu’une fille en faisant autant est une traînée ?

À l’école De Mortagne, à Boucherville, un message de la direction disait aux élèves : « Certains ont décidé de manifester contre le code vestimentaire. Vous n’avez pas pris la bonne décision ce matin. Votre façon de provoquer des changements est de passer par votre conseil étudiant », les houspillait-on. Eh bien, considérons l’affaire comme réglée ! Quand les élèves écrivent leurs désirs anticonformistes sur un petit papier chiffonné en boule, ils renversent l’autocratie du machisme en claquant des doigts ! Et moi, dans ma lettre, je demanderai au père Noël de rouvrir Docteur-Penfield pour Mardi gras !

« Ma jupe ne veut pas dire oui »

Pendant ce temps, au Collège Trinité de Saint-Bruno, une lettre aux élèves disait soutenir le mouvement, mais ajoutait que « quelques jeunes filles ont profité du mouvement pour raccourcir de façon inappropriée leur jupe en inscrivant au crayon noir sur leurs cuisses des messages provocateurs et inappropriés ». De ces messages, on retiendra : « Stop blaming women », « I’m Not a Distraction » ou « Ma jupe ne veut pas dire oui ». Un autre, aperçu sur Instagram, disait « Je ne suis pas une pute ».

L’affaire évoque la dernière intervention des Femen au musée d’Orsay, où elles ont posé seins nus avec, inscrites sur leur poitrine, des accroches telles que « Ceci n’est pas obscène ». La mobilisation donnait suite à un incident survenu quelques jours plus tôt. Une étudiante avait été rembarrée par la sécurité du musée ; à moins d’ajuster son décolleté jugé trop affriolant, elle se verrait refuser l’entrée de l’établissement…

On trace un parallèle frappant entre cette affaire et le traitement réservé aux étudiantes dans notre fameuse histoire de jupes. Les progrès sont valables si tant est qu’ils proviennent de jeunes hommes privilégiés, mais ils tiennent autrement de la provocation ou du féminisme mal placé s’ils viennent du sexe faible.

Dans cette société qui s’acharne à lutter contre les systèmes patriarcaux ancrés dans sa génétique profonde, on amalgame encore et toujours la vulgarité et la liberté de corps ; l’indécence et le besoin fondamental d’être soi sans prédation ni a priori.

Si nous saluons d’une main l’initiative de ces garçons, mais condamnons de l’autre les filles rejetant les codes que cette même initiative décrie, nous assujettissons et antagonisons par ce double standard les femmes de demain, et démontrons encore une fois aux hommes que, le beau rôle, qu’ils portent ou non la jupe, leur appartient.

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