Lettre au premier ministre du Québec, François Legault

Monsieur le Premier Ministre, à l’instar de nos 37 amies autochtones, nous sommes 37 femmes allochtones de différentes régions, différents domaines et âges, dégoûtées comme vous par le traitement subi par Joyce Echaquan il y a deux semaines. Elle est morte à 37 ans. Les excuses officielles que vous avez prononcées à l’Assemblée nationale sont tout à votre honneur et nous vous en remercions.

Nous tenons à vous dire que nous n’interprétons pas votre refus de reconnaître l’existence d’un racisme systémique au Québec comme un refus de combattre le racisme, mais le problème, malgré votre bonne foi, c’est que ce combat en dépend.

La stratégie gouvernementale reposera-t-elle sur la bonne foi des individus et sur l’éducation de la population ou sur de solides réformes institutionnelles ? L’accès à l’emploi, l’accès au logement, à la formation professionnelle, à l’éducation supérieure, à des soins de santé compétents, donc respectueux, dépendra-t-il de chaque patron, de chaque propriétaire, de chaque enseignant, de chaque infirmière ? L’éducation est indispensable, mais elle doit être combinée à de solides mesures et programmes gouvernementaux qui ciblent la racine du mal et la structure cachée du racisme.

Le Québec n’est pas particulièrement raciste ; il l’est comme tous les pays du monde. Tout comme il était aussi sexiste que les autres pays jusqu’à ce qu’il reconnaisse formellement en 1996 le caractère systémique de la discrimination à l’égard des femmes. Tout comme celle-ci, le racisme systémique est le résultat d’un système de valeurs qui s’inscrit dans les institutions. Pour l’enrayer, il faut l’attaquer dans sa globalité.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR LES AUTEURES

La vie des Autochtones compte, une illustration de l’artiste-peintre Lyne Lapointe

Il est vrai, monsieur le Premier Ministre, que la terrible Loi sur les Indiens ne dépend pas de vous. À ce titre, la discrimination systémique que subissent les Autochtones y prend une bonne partie de ses racines historiques.

Nos « pouvoirs provinciaux », toutefois, peuvent nous faire couvrir des milliers de kilomètres dans cette très longue marche vers la justice pour tous.

Commençons au commencement, reconnaissons, sereinement et lucidement, la profondeur des préjugés, des habitudes, des pratiques souvent inconscientes qui habitent notre vie nationale collective comme celle, à des degrés divers, de tous les peuples du monde. La question du racisme systémique n’est pas une bataille de mots, monsieur le Premier Ministre. Pour trouver des solutions, il faut pouvoir nommer le problème.

Lisez « Racisme : il peut y avoir un Québec meilleur pour nous tous »

*Cosignataires : Anaïs Barbeau-Lavalette, cinéaste et auteure ; Léa Pool, cinéaste ; Louise Richer, directrice générale et fondatrice de l’École nationale de l’humour ; Lyne Lapointe, artiste visuelle ; Laure Waridel, écologiste ; Marquise Lepage, cinéaste ; Josée Blanchette, chroniqueuse ; Joanne Forgues, productrice ; Bonnie Campbell, professeure émérite à l’Université du Québec à Montréal ; Nancy Marcotte, recherchiste ; Mélanie Lemire, professeure à l’Université Laval ; Miriam Verreault, cinéaste ; Anne-Marie Cadieux, comédienne ; Alexia Bürger, dramaturge ; Ghislaine Patry-Buisson, ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec ; Donna Mergler, professeur émérite à l’Université du Québec à Montréal ; Nadine Marchand, directrice de festival ; Catherine Major, musicienne compositrice ; Brigitte Poupart, metteure en scène et comédienne ; Monik Poirier, infirmière ; Lorraine Pagé, féministe et syndicaliste ; Karen Messing, professeure émérite à l’Université du Québec à Montréal ; Louise Sicuro, gestionnaire culturelle ; Frannie Holder, autrice-compositrice-interprète ; Francine Lahaye, consultante ; Katherine Lippel, juriste professeure à l’Université d’Ottawa ; Julie Antoine, directrice générale du Réseau des lesbiennes du Québec ; Marie Cinq-Mars, ex-mairesse d’Outremont ; Diane Lavallée, gestionnaire en santé ; Amélie Duceppe, directrice de théâtre ; Isabelle Brabant, sage-femme et autrice ; Line Chamberland, titulaire de la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’Université du Québec à Montréal ; Paule Baillargeon, cinéaste ; Colette Brin, professeure à l’Université Laval ; Manon Barbeau, cinéaste

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