La lettre s’adresse aux premiers ministres du Canada et du Québec, MM. Justin Trudeau et François Legault

Monsieur Trudeau, Monsieur Legault, nous sommes tous résidants de Lanaudière, à moins de 100 km de Montréal. Comme 42 500 autres personnes, nous avons un problème en commun : celui d’avoir une piètre connexion à l'internet.

Pour arriver à nous connecter au reste du monde, nous devons passer par des fils de cuivre ou des connexions satellites proposant une vitesse de téléchargement 150 fois moins rapide que ce que l’on retrouve à Montréal.

L’une d’entre nous, Joe Bocan, a même dû faire des dizaines de fois l’aller-retour entre Sainte-Marcelline-de-Kildare et Joliette (45 minutes de voiture) pour pouvoir bénéficier d’une connexion lui permettant de télécharger des sessions d’enregistrement studio. Et lorsqu’il pleut, plusieurs d’entre nous doivent se « pousser » l'internet à partir de leur forfait de données cellulaires, afin de se reconnecter au monde. Un monde désormais en télétravail.

Pour rappel : vous avez promis en 2016, M. Legault, d’augmenter de manière significative l’accès à l'internet haute vitesse, pour tous les Québécois ; vous avez, M. Trudeau, mis en place 750 millions de dollars dans un fonds visant à stimuler le déploiement de la large bande dans les régions.

Or, malgré toute cette belle volonté politique que l’on salue, plusieurs reportages journalistiques ont dernièrement rapporté qu’une poignée d'acteurs corporatifs freinerait – de manière volontaire ou non – des dizaines d’initiatives visant à approvisionner en fibre optique des centaines de milliers de foyers en région.

Selon l’article d’Ariane Krol de La Presse, « La guerre des poteaux » 1, un projet nommé Connexion Matawinie avait les moyens et l’ambition de desservir 10 000 adresses avec la fibre cet été. Mais, toujours selon cet article, des retards causés par la délivrance de permis pour accrocher de la fibre sur les poteaux de Bell Canada auraient ralenti de 97 % la vélocité de ce projet ; en somme, 300 adresses avaient la fibre en août.

À ce titre, le mémoire2 déposé par la directrice générale de Connexion Matawinie auprès du CRTC est accablant et lucide : « Les obstacles que nous rencontrons sont principalement dus aux différents processus internes de Bell Canada […]. En 2020, l'internet est un service essentiel et les entreprises de télécommunications ralentissent le développement de la région. […] ces entreprises perdent une chance de prouver qu’elles méritent d’être considérées comme de "bons citoyens corporatifs" en permettant à toutes les régions du Canada d’avoir le monde au bout du clavier. »

Un service essentiel

Messieurs nos premiers ministres, à l’heure où l'internet est désormais considéré comme un service essentiel, comme l’eau ou l’électricité, force est de constater que la balance du pouvoir dans le développement de tels projets de société semble entre les mains de télécoms privées.

Est-ce le monde dans lequel nous voulons vivre ? Un monde où les services essentiels dépendent des intérêts privés ?

Imaginez deux secondes : un monde où notre système de distribution d'eau serait contrôlé par… une entreprise d’eau embouteillée ? Cela serait totalement insensé.

Messieurs, nous ne vous demanderons pas de nationaliser l’internet. Nous vous demandons simplement d’envisager que l’État devienne propriétaire de l’infrastructure sur laquelle les fils des télécoms privées transitent. Comme c’est le cas pour Hydro-Québec. Nous vous demandons simplement de devenir maîtres chez nous.

En terminant, nous vous rappelons que la gouverneure générale du Canada, Julie Payette, a mentionné ceci dans son récent discours du Trône : « Ces six derniers mois, bien des gens ont commencé à travailler de la maison […]. Il est donc plus important que jamais que tous les Canadiens aient accès à l'internet. Le gouvernement […] reverra à la hausse les ambitions du Fonds pour la large bande universelle afin que les Canadiens de toutes les régions aient accès à l'internet haute vitesse. »

Cela dit, une question s’impose : à quoi bon servirait de bonifier ce budget si – en amont – il subsiste une impasse corporative touchant la diversité de l’offre ? Dans de telles conditions, en pleine « guerre des poteaux », le simple fait de garnir davantage ce fonds enrichirait un oligopole bien en place et n’accélérerait que très peu le déploiement de nos réseaux.

À notre avis, il faudrait plutôt agir, messieurs, pour que « le pouvoir de se brancher », en tant que collectivité, revienne entre nos mains. Entre les mains de tous ceux et celles qui, comme nous, ne demandent qu'à sortir de la grande noirceur numérique.

1 Lisez « La guerre des poteaux »

2 Consultez le mémoire de Connexion Matawinie

* Cosignataires : Joe Bocan, Sainte-Marcelline-de-Kildare ; Dan Bigras, Chertsey ; Yves Lambert, Sainte-Mélanie ; Julien Poulin, Sainte-Béatrix ; Jean-Michel Dufaux, Saint-Calixte ; Manon Bédard, Saint-Jean-de-Matha ; Lionel Lavault, Sainte-Émélie-de-l'Énergie : Stéphanie Bédard, Chertsey

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