Ce texte est inspiré du livre Insurrection appréhendée – Le grand mensonge d’Octobre 1970 (Éditions Carte Blanche/La boîte à Lisée)

Des excuses, pourquoi ? Parce qu’il y a 50 ans, à 4 h du matin, 1200 policiers frappent aux portes, réveillant hommes, femmes et enfants, apprenant à des citoyens effarés que non, ils n’avaient plus de droits, non, il n’y avait pas de mandat, non, ils ne pouvaient pas appeler un avocat.

Il y aurait bientôt exactement 497 détenus. Pas moins de 97 % d’entre eux n’étaient coupables de rien d’autre que d’être indépendantistes, syndicalistes, progressistes. Cinq poètes furent ainsi emprisonnés.

Certains furent frappés par des policiers, forcés à se dénuder et, dans un cas, soumis à un simulacre d’exécution. De plus, 37 000 Québécois ont subi une perquisition sans mandat. Les membres d’exécutifs du jeune Parti québécois à Hull, Drummondville, Trois-Rivières et ailleurs furent visités à répétition.

Le coordonnateur de l’équipe de policiers chargée de retrouver les otages James Cross et Pierre Laporte estimait que l’arrestation d’une vingtaine de personnes serait utile à l’enquête. Au-delà de ce chiffre, nous sommes en présence d’une opération politique visant à asséner un choc psychologique à tout le mouvement d’opposition, surtout indépendantiste, au mépris des droits.

Faut-il s’excuser pour tout ce qui est condamnable dans notre histoire ? On peut penser que non. Mais puisque le gouvernement canadien s’est excusé pour des internements (de minorités pendant la Seconde Guerre mondiale) ou pour la discrimination à l’emploi (pour les homosexuels dans la fonction publique et l’armée), on voit mal comment la suspension massive des droits en octobre 1970 et une rafle d’arrestations nocturnes ne satisferaient pas aux critères actuels de contrition.

Des excuses de la part de qui ?

Les demandes déposées à Québec et à Ottawa visent spécifiquement l’action du gouvernement fédéral alors dirigé par Pierre Elliott Trudeau. Il est tout à fait vrai que les droits ne pouvaient être suspendus que par une action du gouvernement fédéral. Il est tout à fait vrai que Pierre Trudeau a pris la décision de donner aux policiers le droit de procéder à une rafle, a vu une des listes hallucinantes de gens qui seraient arrêtés et ne s’y est pas objecté, a approuvé l’idée d’arrestations nocturnes. Il a surtout caché à ses ministres une information-clé : la GRC s’opposait en principe à ces arrestations et à l’idée même de voter une loi d’exception, jugeant avec raison que ces gestes allaient nuire aux efforts de libération des deux otages.

Trudeau et ses ministres sont responsables d’avoir sciemment désinformé les autres ministres et les citoyens sur l’ampleur du risque posé par le Front de libération du Québec (FLQ). Des excuses fédérales sont donc parfaitement justifiées a fortiori de la part d’un gouvernement, à plus d’un égard, héritier de Pierre Trudeau.

Comment faire l’impasse, cependant, sur la responsabilité du premier ministre du Québec de l’époque, Robert Bourassa ? C’est lui qui, dès le lendemain de l’enlèvement de Laporte, demande à Trudeau de suspendre les droits. Robert Demers, son ami et négociateur de l’époque qui assiste à certains des appels, témoigne : « Bourassa y tenait et il a – si je peux employer ce mot – poursuivi Trudeau jusqu’à ce qu’il finisse par céder ! » Trudeau ne dit pas autre chose au sujet des appels pressants et répétés de Bourassa, du maire de Montréal, Jean Drapeau, et du bras droit du maire et ami de Trudeau, Lucien Saulnier : « Ils ne me lâchaient pas ! »

Une fois qu’Ottawa a accédé à la demande de Québec, toutes les opérations d’arrestations et de perquisitions ne furent que du ressort du Québec. C’est Bourassa qui approuve la liste des personnes à arrêter (il a avoué n’avoir biffé aucun nom), c’est lui qui a donné à la Sûreté du Québec et à tous les corps policiers du Québec le droit d’utiliser les pouvoirs d’exception (l’enquêteur au dossier voulait que seule son équipe puisse agir sans mandat). C’est le procureur général du Québec, Jérôme Choquette, qui a décidé de maintenir en prison ou de libérer les détenus, qui a décidé s’ils peuvent voir leurs avocats (il refuse souvent).

Il convient donc que le gouvernement du Québec présente ses excuses.

Et il est indispensable que la cheffe de l’opposition y participe, car c’est son prédécesseur, Robert Bourassa, dont elle dit se réclamer à d’autres égards, qui fut le réel initiateur de ces injustices. La Ville de Montréal doit également admettre sa responsabilité.

Au-delà des excuses, quels gestes faire ? J’en vois deux. En 1971, seul un détenu d’octobre 1970 sur cinq a reçu de Québec une compensation, équivalente à 2700 $ aujourd’hui. Le Protecteur du citoyen devrait être chargé de faire un nouveau calcul pour les personnes oubliées à l’époque. Ensuite, sur ce qui est maintenant le boulevard Robert-Bourassa, on devrait aménager une petite place avec une plaque et une œuvre d’art. Qu’on l’appelle : la Place des poètes emprisonnés.

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