Jeudi 27 août 2020, 22 h 30, le président Donald J. Trump vient de terminer son discours d’acceptation de sa re-nomination du Parti républicain à la présidence. Étrangeté tout de suite notée : le président n’a pas cru bon d’exposer avec ce discours, non plus que durant la convention de son parti, une plateforme électorale. Ce qui ne signifie cependant pas l’absence d’objectifs spécifiques à sa campagne, outre sa propre réélection. Et certains de ces objectifs menacent très significativement le rôle du service public en éducation.

La soirée d’ouverture du congrès s’était avérée à cet égard révélatrice, une oratrice se livrant à une attaque en règle contre les syndicats enseignants. Leurs dirigeants ont été qualifiés de « union bosses », des « boss syndicaux » accusés de tenir les enseignants prisonniers de leurs organisations, véritables monopoles auxquels ces derniers doivent en plus verser des cotisations. Ces syndicats sont régulièrement présentés comme ennemis des réformes dans les écoles publiques, empêchant les mises à pied de professeurs « sous-performant » et niant le principe du « choix » des parents quant à l’éducation de leurs enfants. Ce thème du « libre choix », sur lequel a plus d’une fois insisté le président américain dans son discours de clôture de la convention, n’est pas nouveau dans les harangues des courants conservateurs mais, arrimé à une charge contre le syndicalisme enseignant, il signale un projet de mutation radicale de l’école publique.

Le système d’éducation primaire et secondaire aux États-Unis demeure un domaine qui, pour une large part, échappe toujours au circuit direct du profit. Ses ressources ont habituellement été réservées aux écoles publiques et elles représentent, on s’en doute, des sommes gigantesques. Depuis des décennies maintenant, divers plans de réforme de l’enseignement et de sa gestion sont envisagés devant les difficultés auxquelles les écoles sont incontestablement confrontées… Dans ce cadre, l’idée a jailli de « charter schools », d’écoles à charte alternative, financées publiquement mais dont la direction est confiée à des groupes privés, à but lucratif ou non, et pouvant exercer une sélection à l’entrée. Ces écoles n’ont pas à respecter le contrat syndical ailleurs en vigueur puisqu’elles relèvent de projets éducatifs de remplacement. Notons tout de même que certaines de ces « charter schools » sont dorénavant syndiquées.

Difficultés de l’école publique

Les difficultés de l’école publique sont réelles, mais on lui a généralement conservé la caractéristique d’être commune à l’ensemble des jeunes. Les établissements à charte causent évidemment problème à cet égard, par exemple que l’enseignement financé publiquement puisse déboucher sur un accès inégal à la connaissance. Sans compter qu’a surgit la réclamation, partiellement satisfaite par le président Trump, qu’une part des ressources publiques soient attribuée à des écoles à charte carrément privées, voire confessionnelles. Cette dernière hypothèse suppose une rupture avec le principe de la séparation des églises et de l’État. Question : des ressources publiques peuvent-elles être réservées à l’embauche de personnes de croyances religieuses particulières ?

La « liberté de choix des parents » (entre divers types d’écoles engageant des ressources publiques) a été présentée par le président Trump comme l’un des principaux objectifs du deuxième mandat auquel il aspire. Il a fait part ainsi de sa volonté d’ouvrir large, dorénavant, le terrain de l’instruction primaire et secondaire à l’entreprise privée. La concrétisation de cet objectif par le biais des écoles à charte mène à la désarticulation du caractère commun de l’éducation.

Cette situation rendrait par ailleurs plus difficile la mise en forme des luttes enseignantes, source remarquable de mobilisation syndicale depuis quelques années, précisément en défense de l’école publique, entre autres contre les « charter schools ». Voilà bien qui représenterait un développement positif supplémentaire pour le président.

Le taux de syndicalisation s’avère en effet très faible aux États-Unis : quelque 10 % aujourd’hui, 6 % dans le secteur privé et 33 % parmi les « public workers », les travailleurs du secteur public et parapublic. Ces syndiqués représentent le dernier des grands viviers du syndicalisme ; et de ceux-ci, les enseignants constituent le groupe professionnel le plus en flèche syndicalement et le plus visible aujourd’hui (dans les grandes métropoles comme dans les petites localités). Son déclin constituerait un apport déterminant de la présidence Trump aux adversaires de l’école publique et du syndicalisme. Le thème de l’éducation ne figure pas à ce jour parmi les sujets retenus, pas tous annoncés cependant, des débats entre les chefs, dont le premier se tiendra le 29 septembre. Sa question reste néanmoins cruciale, en elle-même et aussi parce qu’elle dévoile un objectif d’ensemble qui l’englobe, celui d’une privatisation (entendue au sens vulgaire d’une mise à l’encan) de la vie en société.

Le candidat démocrate Joe Biden a promis dans son programme d’œuvrer plutôt au renforcement du droit des travailleurs publics à la négociation syndicale et de faire de ce droit un droit « fédéral », c’est-à-dire un droit qui ne pourrait être modifié à la baisse par les divers États ; il promet, par ailleurs, une révision en profondeur des règles présidant à la syndicalisation des salariés, très favorable au libre exercice de ce droit. Sa position est moins tranchée en ce qui a trait aux « charter schools » cependant, une option considérée positivement par certaines administrations démocrates (par le ministre de l’Éducation de Barack Obama, entre autres). Biden avance néanmoins plusieurs critères devant servir à conditionner le financement de « charter schools », notamment qu’elles soient des institutions à but non lucratif, qu’elles ne soient pas confessionnelles et qu’elles ne sélectionnent pas leurs élèves à l’entrée.

*Serge Denis est l’auteur de Mouvements ouvriers, partis politiques et luttes populaires aux États-Unis, 1938 – 2018, un livre à paraître cet automne aux Presses de l’Université Laval

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