Je suis professeure de littérature et de théâtre. J’ai la chance d’exercer une profession qui m’enchante toujours, de côtoyer des gens brillants, dévoués et persuadés que notre rôle est essentiel. J’ai surtout l’immense privilège de faire découvrir la culture à de jeunes esprits qui s’éveillent au monde. C’est ce qui me ravit toujours et encore.

Je sais bien que la situation, dans l’enseignement comme partout ailleurs, est difficile à tous les égards et fortement anxiogène pour tous et toutes, à commencer par les élèves qui nous le manifestent quotidiennement.

Mais voici ce qui me vient à l’esprit quand on me questionne sur la rentée.

Je vais tenter une métaphore théâtrale. Déformation professionnelle, je m’en excuse. L’auteur ou l’autrice serait ici la mission de la formation générale au cégep : humanisme, culture, ouverture au monde. À la mise en scène, les directions, chargées de la difficile tâche de coordonner le travail des autres, de rendre l’aventure cohérente, signifiante et singulière en ne trahissant pas l’esprit de la pièce, mais en respectant évidemment un cadre. Les décors seraient plantés par toutes ces équipes qui veillent au respect des règles sanitaires et qui organisent l’espace physique. Les costumes et le maquillage seraient à la charge des communications qui assurent à notre public que nous sommes là que le spectacle va bien avoir lieu. L’éclairage et le son reviendraient aux gens des technologies de l’information. Après tout, en proposant un enseignement à distance ce sont elles et eux qui nous rendent visibles et diffusent nos mots. Quant à nous autres qui enseignons, vous l’aurez deviné, nous sommes les comédiennes et les comédiens. On nous pousse sur scène et on regarde comment on va se débrouiller. C’est notre métier, nous adorons nous commettre. Bien entendu. Mais surtout quand on sait comment on va jouer notre texte et qu’on a l’assurance que rien n’est laissé au hasard, que la lumière ne s’éteindra pas au mauvais moment, qu’il ne manquera pas un accessoire sur les tables en coulisses et que le costume va être de la bonne taille. Le théâtre est un travail d’équipe, rappelons-le.

Mais revenons à cette rentrée.

Si on veut ne pas sacrifier la qualité de notre enseignement et la relation que nous devons établir avec nos étudiantes et nos étudiants, nous aurions peut-être dû nous arrêter un instant avant d’entrer en scène, pour nous donner le temps de bien penser au spectacle que l’on veut offrir au public.

Ou même, le revoir, avec les équipes techniques et de conception et nous adapter à ce nouveau décor dans lequel nous devons évoluer, par égard envers notre public, celles et ceux-là mêmes qui ont dû renoncer à la vie étudiante extraordinaire des cégeps. Quitte à reporter le spectacle de quelques semaines, pour nous donner le temps d’en monter un autre, ensemble, et de le défendre ensuite avec conviction. En ce moment, j’ai la vague impression de ne plus faire du théâtre, mais plutôt de jouer dans un match d’improvisation devant un public désorienté, parfois dissipé et anxieux sur une scène avec des coulisses vides.

Toutes les équipes font de leur mieux et se dévouent, mais il n’y a jamais eu autant de retraites anticipées, de congés de maladie, de détresse psychologique qu’en ce moment dans le domaine de l’enseignement. Ce fait-là parle.

Prendre un temps de pause pour réfléchir à ce que nous allions faire et dire n’aurait pas été un luxe. Écouter l’autre et agir ensuite, il me semble que cela aurait été possible, par respect pour notre public.

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En ce moment, j’ai la vague impression de ne plus faire du théâtre, mais plutôt de jouer dans un match d’improvisation devant un public désorienté, parfois dissipé et anxieux sur une scène avec des coulisses vides.

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