Ça faisait un petit bout que mon écriture m’avait échappé, comme oubliée dans le coin de la chambre mal rangée, sous une pile de scrubs à laver. La vérité, c’est que le temps aussi semble m’échapper… et bien que cette réalisation ne me soit pas étrangère, le contexte dans lequel elle se produit, lui, est bien particulier.

Je suis revenue travailler en pleine pandémie, jonglant avec mon rôle de mère, celui de médecin, celui de meilleure amie de la plus belle femme du monde, en soins palliatifs… et celui d’humaine, entourée d’inconnu, encore et toujours.

Et du coup, on me demande souvent, récemment, comment je vais. Et je me suis mise à détester la question, littéralement.

Je la déteste parce que je n’ai jamais été capable de mentir pour deux cents, que je suis tannée de ne pas être simplement capable de lancer un « ça va bien ! » banal, non réfléchi et naïf… mais je la déteste surtout parce que je n’ai pas encore trouvé la réponse.

Je trouve ça très difficile de savoir comment ça va quand j’ai l’impression que la route vers la réponse est pavée de pierres instables, incertaines. Je n’ai juste pas ça en moi, je pense, faire abstraction de ce qui se passe. Plus maintenant, du moins.

La vérité, c’est que comme plusieurs de mes collègues, j’ai la chienne.

J’ai peur du orange, qui virera inévitablement au rouge, et de cette deuxième vague, dont on ne devine que le début. En réalité, j’ai peur de nous voir nous écrouler, un à un, sous son poids, faute d’être capables de le supporter.

Mais par-dessus tout, j’ai peur de nous.

J’ai peur de notre humanité, fragile, qui s’éteint si facilement, sous la maladie, indépendamment de notre âge, notre sexe, notre couleur ou notre religion.

J’ai peur de notre humanité fragile qui nous pousse à douter et nier, faute d’être équipés pour gérer nos craintes, nos incertitudes, nos cauchemars. Je crains cette humanité qui fabule, depuis la nuit des temps, faute de savoir comment trouver les bonnes réponses.

J’ai peur qu’il ne soit trop tard, tantôt, pour intervenir plus fermement. Pour crier haut et fort plus clairement, à quel point c’est réel, ce qui se passe. À quel point personne ne l’a inventée, la pandémie. À quel point personne ne joue la comédie, face à la détresse qui nous envahit, avec toutes ses facettes et ses couleurs, du jaune au rouge.

J’ai peur qu’on se réveille mais surtout qu’on se lève trop tard, de notre pensée magique, seulement pour se retrouver face à des questions dont les réponses seront encore plus difficiles à formuler… et à entendre.

Quand le monsieur du dépanneur réalise que je suis médecin et qu’il me demande si c’est vrai, « toute cette histoire de COVID », j’ai peur.

Quand on veut changer ma meilleure amie si vulnérable de chambre, pour la mettre près d’une unité d’éclosion de COVID, j’ai peur.

Quand j’entends les patients mentir au sujet de la fièvre de leur enfant, pour le faire voir au sans rendez-vous, sans être habités par l’ombre d’un remords ou de compréhension du sérieux de la chose, j’ai peur.

Quand mes collègues les plus brillants, les plus dévoués, les plus posés et habituellement rassurants, me disent qu’ils ont plus peur qu’au printemps, qu’on n’a rien vu encore, que c’est vraiment difficile, à l’hôpital… là j’ai vraiment peur.

En fait, la peur a pris une telle place, au sein de mon vécu de cette pandémie, que je n’arrive plus à lire les commentaires sur les réseaux sociaux. Chaque personne, cachée derrière son écran, qui minimise, insulte, nie, conspire et désinforme… me fait peur.

Les professionnels de la santé qui mettent leur sécurité, leur santé mentale et leur intégrité physique à risque (ainsi que celles de leurs proches), ont peur, en lisant les commentaires. En lisant la fragilité de notre humanité.

Ça teint nos journées… et nos nuits. Même Luc De Larochellière, a pris un autre sens, quand il chante la fragilité de la vie, à la radio.

On a peur en santé parce qu’on ne sait plus comment aborder la vérité, pour que vous daigniez la croire. On ne sait plus comment vous parler, pour vous aider à comprendre. Pour vous permettre d’attraper, au passage dans nos bureaux, sur nos tables d’examen ou même chez vous, en lisant les nouvelles… un aperçu de notre réalité, à travers nos yeux cernés.

Et bien que je vous prêterais bien mes yeux à moi, pour vous la montrer, cette réalité, je n’ai malheureusement que ma plume.

On ne sait plus comment répondre, même aux questions les plus simples, tellement notre fragilité nous frappe de plein fouet, à répétition, depuis des mois. C’est elle au fond, qu’on craint… bien plus que la COVID-19.

Donc, même à « comment ça va ? », je ne réponds plus vraiment, maintenant.

Je pense que la vérité, c’est qu’on a juste réalisé que ça n’allait pas bien aller, finalement.

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