Hier, en début de soirée, j’ai rencontré un plus grand sage que ce grand-père un peu archétypique que je cite souvent. Il m’a regardé droit dans les yeux et m’a dit : « Chaque jour, je tends l’oreille dans les bungalows et j’entends les gens exprimer ostensiblement leur exaspération. Partout, on se demande quand on retrouvera une vie normale. Mais tu sais, mon cher Boucar, le virus est là pour rester et la seule façon d’accélérer ce retour à un semblant de normalité, même pour les "chu pu capable ost… !", c’est de respecter les règles de distanciation et de veiller les uns sur les autres.

« Je dois avouer que votre gouvernement n’est pas dans une position facile en ce moment. Comment faire respecter les consignes sans bousculer la population ? Comment freiner la progression du virus tout en ménageant à la fois les bars, les salles de spectacles, les restaurants, les lieux de culte, les fêtes familiales, le parascolaire et les autres choses qui agrémentent la vie des animaux hautement sociaux que vous êtes ? Je ne sais pas, Boucar. Mais, chose certaine, votre gouvernement a beau souffler le chaud et le froid pour ménager les susceptibilités et préserver sa grande cote d’amour auprès de la population, il devra être plus convaincant. Des fois, j’ai l’impression que votre premier ministre aime tellement les tiens qu’il vit avec une certaine peur de les blesser ou de heurter leur sensibilité lorsque vient le temps des grandes décisions. Pourtant, comme disait mon grand-père dans une telle situation, si tu ne peux l’obtenir en lichant, il est permis d’essayer en mordant.

« Tous les soirs, Boucar, en tendant l’oreille de l’extérieur pour écouter ce qui se dit dans les bungalows, j’entends parler d’un virus venu massacrer l’humanité. Si je pouvais parler à ces épouvantés, je leur dirais certainement que le virus n’est pas venu avec un projet d’extermination du genre humain. D’ailleurs, quand on y réfléchit un peu plus scientifiquement, on ne peut pas accuser le virus de meurtre au premier degré. Ce microbe vous utilise simplement pour se multiplier et perpétuer ses gènes dans la biosphère. Il est indéniablement un acteur important de ce qui arrive aux malades, mais si vous cherchez le responsable premier du coup de grâce asséné aux alités, il faut interroger votre système immunitaire. En se déchaînant trop fortement et maladroitement sur l’envahisseur microbien, votre armée corporelle cause des dommages collatéraux qui finissent par être fatals à celui qu’elle voulait protéger. Nombreux sont d’ailleurs vos scientifiques qui ont travaillé sur une approche curative de la COVID-19 impliquant des molécules capables de modérer ce déchaînement immunitaire induit par le virus.

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Un raton laveur pas comme les autres

« La frousse et la détresse sont audibles partout, Boucar. J’entends même de plus en plus de voix dissidentes raconter que cette grande peur fera dans votre tissu social des dommages aussi considérables que les excès du système immunitaire sur la santé des malades de la COVID-19. Mais si tu veux mon avis, entre les tenants du "replions-nous pour protéger les plus vulnérables et éviter que le système hospitalier ne crashe" et ceux du "affrontons-le à la façon suédoise", la réconciliation est impossible. Entre ceux qui prônent la stratégie à étalement des risques et ceux qui militent pour une stratégie à risques, l’histoire nous dira où se trouvait la vérité.

« Mais en attendant cette issue, s’il y a une grande certitude biologique qui mérite d’être rappelée en ces temps d’anxiété, c’est qu’aucun microbe n’a intérêt à exterminer son hôte. À ma connaissance, la seule espèce qui en extermine d’autres dans la nature, c’est l’humain. Je t’épargne ici la liste des victimes de ce bipède, car on y passerait la nuit. Avec le temps, la sélection naturelle finit par ramener le plus virulent des pathogènes à la raison et par lui rappeler qu’advenant une extermination, il disparaîtrait en même temps que son hôte.

« Un microbe trop virulent risque de clouer au lit la personne qu’il a infectée et mener rapidement à sa mort. Ce faisant, il arrive qu’il se condamne, car le malade l’emportera peut-être dans sa tombe sans avoir eu le temps de le disperser autour de lui.

« Il existe donc une sorte "d’éthique parasitaire" qui s’inscrit dans les grilles du temps et la vision de Darwin. En vertu de cette loi naturelle, le parasite et son hôte s’engagent à la fois dans une course aux armements et une recherche d’équilibre qui, sans être pacifique, mène à un compromis souvent moins dommageable pour l’hôte. Laisse-moi te rappeler ici l’exemple que j’ai récemment découvert dans un livre, celui des lapins australiens et du virus de la myxomatose. Introduits en Australie, où ils n’existaient pas au XVIIIe siècle, les lapins y proliférèrent de façon exponentielle. Sans prédateur naturel sur les lieux, il fallait diminuer la population. En 1950, le gouvernement australien lâche dans la nature des individus contaminés par le redoutable virus de myxomatose. C’est l’hécatombe, car 99 % des individus malades crèvent au bout de 15 jours. Mais, deux ans après le début de cette expérience de lutte biologique, les scientifiques réalisent un changement majeur. La sélection naturelle opérait déjà et le virus ne tuait plus que 70 à 95 % des lapins contaminés. Le virus avait muté et une variante moins assassine circulait dans les populations de lapins. Peut-être qu’un tel ajustement est déjà en marche entre vous et ce coronavirus, Boucar. Peut-être que la sélection naturelle favorisera dans pas longtemps une souche mutante bien moins meurtrière que celle qui a fait des ravages dans les CHSLD du Québec. Quelques scientifiques le murmurent déjà, sans grande certitude.

« Parlant d’évolution et de virulence microbienne, j’ai constaté en ce début d’année scolaire que les rhumes sont omniprésents dans vos écoles. J’entends aussi tous les soirs des parents qui ont vu leurs enfants revenir de la classe avec la morve au nez exprimer leur angoisse. Je les comprends très bien.

« Quand les spécialistes de la santé ont passé des mois à raconter que pour les enfants, la COVID-19, c’était comme un petit rhume, c’est normal que la guedille vous rende plus nerveux que d’habitude.

« Pourquoi le rhume est-il donc venu foutre le bordel dans vos esprits en ces périodes déjà trop stressantes ? Je vais te le dire. Il paraît que les deux virus ont tenu une réunion secrète dans un bar de karaoké de Québec pour se partager la saison. Le SARS-CoV-2 a accepté de laisser un peu de temps au virus du rhume dans les écoles et, en échange, ce dernier a renoncé à faire tousser les enfants pour ne pas trop faire capoter la population et nuire à sa deuxième vague.

« Je sais que tu te demandes comment j’ai appris tout ce que je viens de te raconter, Boucar. La réponse est simple : j’ai fait mes propres recherches. J’ai surtout lu le formidable bouquin de Samuel Alizon intitulé C’est grave, DDarwin ? Les microbes, l’évolution et nous. »

Voilà donc ce que m’a dit ce raton laveur pas comme les autres que j’ai surpris en train de fouiller dans ma poubelle de compostage. Évidemment, nous avons respecté la distanciation pendant cette rencontre. De toute façon, comme les ratons sont toujours masqués et qu’ils sont des laveurs naturels de mains, les risques de contamination mutuels étaient très faibles. Je vous entends déjà dire : « Je sais que les temps sont anxiogènes Boucar, mais slacker tes visites à la SQDC te ferait certainement du bien ! »

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