Troisième d’une série de six textes sur la politique américaine à la veille des élections présidentielles, la bataille du Brexit au Royaume-Uni et la montée du populisme en Italie, en France et en Allemagne

L’Angleterre est le théâtre d’un affrontement. Les questions au cœur du débat : que représente la nation, et à qui appartient-elle ? À son apogée lors du référendum de 2016 et dans sa foulée, cette bataille s’est amplifiée depuis le début de la pandémie de COVID-19. Ses pivots sont la race et l’immigration. Ainsi, il est plus nécessaire que jamais de cesser la promotion de hiérarchies fondées sur les différences et les critères du droit à l’appartenance nationale. Nous devons plutôt lutter ensemble contre les causes de l’exploitation et de l’oppression.

Angela Davis nous rappelle qu’« il faut parfois se préparer à une réalité que nous n’entrevoyons pas encore comme possible ». De cette manière, nous serons prêts à réécrire l’ordre du jour lorsque l’occasion s’en présentera. Ces paroles témoignent d’une volonté de voir tous les humains comme des semblables, point de vue qui se heurte aux puissantes perspectives nationalistes raciales auxquelles donnent écho les médias détenus par de grandes entreprises ainsi que de nombreux parlementaires. Parmi les expressions récentes de ce nationalisme racial, mentionnons les menaces gouvernementales de haut niveau de faire intervenir la Marine pour empêcher les demandeurs d’asile de traverser la Manche à bord de canots pneumatiques, et les critiques de l’immigration et de la diversité ethnique inspirées par le courant du Blue Labour (« travaillisme bleu »).

Selon le discours humanisant d’Angela Davis, tous peuvent coexister paisiblement et avoir les mêmes droits sur un territoire donné, peu importe leur passé migratoire ou sédentaire, la couleur de leur peau, ou leur degré d’affiliation à une religion établie.

Mais les partisans du nationalisme racial soutiennent que cette approche est celle de gens aisés, d’une « élite cosmopolite », et qu’elle doit donc être écartée. Selon les nationalistes raciaux, cette élite habite les grandes villes, en particulier certains quartiers de Londres, et vit bien au quotidien avec le multiculturalisme et l’immigration. Or, pendant ce temps, la classe ouvrière blanche est ignorée, et ses intérêts sont négligés. Ses « doléances légitimes » doivent dorénavant être prises en compte.

Bien qu’on le dépeigne comme étant étouffé par la classe dominante, le nationalisme racial imprègne les textes des journaux les plus vendus ainsi que les idées des dirigeants actuels des deux principaux partis politiques.

Ses grandes lignes sont écrites par des journalistes bien payés de Londres. Un observateur externe qui voudrait se faire une idée de la situation en survolant les grands médias britanniques aurait beaucoup de mal à ne pas conclure qu’en cette période de transition du Brexit où le pays se prépare à reprendre le contrôle de ses frontières le 31 décembre 2020, la nation a l’humeur au nationalisme racial.

L’espoir peut émerger de la colère

Toutefois, en y regardant d’un peu plus près, on note que le cosmopolitisme non élitiste est bien portant, même s’il évolue aux côtés d’idéologies racistes subtiles et même violentes. Comme l’a montré le sociologue Les Back, donnant pour exemple les marches silencieuses mensuelles de survivants et de parents endeuillés après l’incendie de la tour Grenfell en 2017, l’espoir peut émerger de la colère. Il est significatif que depuis le meurtre brutal de George Floyd aux mains de la police de Minneapolis, les manifestations du mouvement Black Lives Matter, tant au Royaume-Uni qu’aux États-Unis, sont multiraciales. Dans mon nouveau livre, Stories from a Migrant City : Living and Working Together in the Shadow of Brexit, je me fonde sur huit années de recherche dans une petite ville anglaise qui a voté pour le Brexit pour rappeler aux gens l’existence de la classe ouvrière multiraciale, plurilingue et multinationale de l’Angleterre et offrir des portraits du multiculturalisme urbain au quotidien, comme les luttes des travailleurs contre les travers de la gestion algorithmique.

Ce travail remet en question la catégorisation entre « migrants » et « locaux ». Il reconnaît la différenciation raciale qui s’opère dans la gestion des frontières nationales ainsi que la violence raciste continue d’un « environnement hostile » où les migrants sont détenus et déportés.

Dans mon livre, en donnant la parole à plus d’une centaine de personnes, j’attire l’attention sur l’expérience commune de la perte d’un cadre de vie, que celle-ci provienne d’un déplacement ou de la transformation d’un lieu qu’il nous est impossible de quitter.

Il est vite devenu évident durant la pandémie que les personnes racisées à la peau noire ou brune étaient proportionnellement plus nombreuses à être emportées par le coronavirus. Comme pour les migrants internationaux, beaucoup de personnes racisées sont des travailleurs essentiels qui occupent des emplois traditionnellement sous-payés au statut précaire. Contraintes de continuer à travailler dans des conditions non sécuritaires, alors que d’autres étaient confinées à la maison, ces personnes ont dû mettre leur vie en danger. Dans Stories from a Migrant City, je suggère que le partage d’histoires nous aide à nous voir comme des semblables plutôt que comme des éléments de catégories. Ce regard peut nous prémunir contre les discours qui divisent et nous donner l’élan nécessaire pour unir nos forces et contester les ravages du capitalisme moderne.

Demain « Populisme : le can-gatto (chat-chien) de la politique italienne »

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