En réponse au texte du professeur de criminologie Marc Ouimet, « Définancer la police ? », publié le 27 juillet

Monsieur Ouimet, depuis deux semaines, j’hésite à rendre publique cette réflexion. J’ai été dérangé par la lecture de votre lettre ouverte.

Alors que nous sommes dans un moment de remise en question sociale, je ne peux m’expliquer qu’un professeur d’université utilise sa notoriété pour mettre à mal l’entièreté d’un mouvement social, sans aucune nuance. La criminologie, au Québec, se doit enfin de s’ancrer dans le contexte politique et d’être critique du statu quo. Ainsi, la démarche intellectuelle poursuivie par M. Ouimet est contraire aux valeurs et aux apprentissages que j’ai faits à l’École de criminologie.

Tout d’abord, il est pernicieux, voire antiscientifique d’introduire le débat ainsi en tentant de délégitimiser sans nuances le mouvement pour le définancement de la police. Ce mouvement est hétérogène, complexe et à certains égards scientifique. Il est composé de militants, d’artistes, d’intellectuels qui abordent certes différemment l’enjeu du définancement, mais qui portent des objectifs similaires.

En somme, disqualifier l’ensemble du mouvement avec la rhétorique qu’il n’est pas universitaire (et qu’il utilise un lexique différent) est une tentative honteuse de clore le débat.

Qui plus est, des rapports de recherche ont déjà formulé ces revendications ; c’est le cas de MTLsansprofilage, qui recommandait en 2018 de définancer une partie du poste de police de Saint-Michel, à Montréal. Il apparaît que M. Ouimet fait abstraction des nuances qui sont présentes dans les débats entourant le définancement de la police en ayant pour fins ses propres opinions sur le sujet. De plus, ce type de discours sur le « qui peut parler » et « comment il doit parler » est désuet en sciences humaines et représente une posture élitiste dépassée depuis longtemps.

Chaque année, 33 000 appels (Charette, Crocker et Billette, 2011) sont faits au Service de police de la Ville de Montréal concernant des enjeux de santé mentale ou de personnes en situation de crise. Les policiers ne sont pas des travailleurs sociaux, des criminologues ou des professionnels de la santé, et ne devraient pas agir comme tels. Leur formation ne les prédispose pas à intervenir auprès de personnes en situation d’itinérance ou présentant des troubles de santé mentale. Le trou dans les services en santé et en services sociaux depuis les 30 dernières années nous a pourtant lentement laissé croire qu’il était du rôle de la police d’intervenir auprès de ces populations.

Il ne s’agit pas d’abolir les corps de police ; il s’agit de concentrer les ressources policières pour les situations de danger imminent et de libérer des ressources financières pour des situations qui demandent d’autres types d’interventions.

Que l’auteur du texte exclue l’exemple de la ville de Camden pour ensuite faire des comparaisons avec des pays marqués par des conflits sociopolitiques majeurs est d’une paresse intellectuelle à peine pardonnable. Dallas constitue d’ailleurs l’exemple remarquable d’une ville où l’envoi de travailleurs sociaux à la suite d’appels du 911 s’est avéré bénéfique pour le désengorgement du système de justice.

Finalement, j’aimerais souligner l’audace dont fait preuve M. Ouimet lorsqu’il écrit que « ne pas assurer à tous les Canadiens, peu importe leur origine ethnique ou leur statut social, un même niveau de protection face à la criminalité équivaudrait à soutenir un système de justice raciste ». Le mouvement de définancement de la police est d’abord et avant tout porté par les personnes racisées, notamment dans la foulée des évènements de Black Lives Matter. Ce type de discours instrumentalise les discriminations raciales dont ils sont victimes pour justifier l’over-policing qui existe dans les quartiers à forts taux d’immigration. La solution devrait plutôt être de libérer du financement additionnel pour les services sociaux au sein de ces quartiers.

> Lisez « Définancer la police ? »

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